Selon l’OMS, la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Lorsque je regarde la gestion de cette épidémie de Covid 19 et notamment les conditions imposées lors de ces deux périodes de confinement, je me demande si nos dirigeants et les médecins qui les conseillent se soucient encore de cette définition ? Pourquoi donnent-ils l’impression de naviguer à vue, de se contredire et de nous prendre pour des enfants irresponsables ? Pourquoi tant d’incohérences dans les décisions prises. Pourquoi avoir à deux reprises arrêté le pays tout entier, une grande partie de son économie, avec des conséquences sociales, humaines, économiques énormes et imprévisibles, en termes de faillites, de chômage et de dépression ? N’a-t-on pas privilégié la santé physique d’une seule catégorie de la population, les séniors dont je fais partie, au détriment du bien-être mental et social de tout notre pays, notamment de toute la jeunesse. Serait-ce que notre monde postmoderne nous ait fait oublier les choses les plus simples concernant ces deux concepts, la santé et la maladie, qui sont comme les deux faces d’une même pièce. Il est peut-être utile d’y réfléchir.
En visitant il y a quelques années le temple d’Épidaure, un site assez isolé du Péloponnèse, où l’on pratiquait une médecine par les songes, je m’étais fait les quelques réflexions suivantes. En s’allongeant au contact de la terre, durant toute une nuit, confiné dans un local clos, en s’abandonnant aux forces à l’origine de toute vie, représentées par le serpent, symbole de vie et de résurrection dans de nombreux récits de la création et dans de nombreuses cultures, jusqu'à nos caducées des professions de santé, en se purifiant à l’eau des fontaines sacrées et surtout en faisant confiance aux prêtres et aux médecins, le malade effectuait une tentative authentique de réconciliation avec la vie qui ne pouvait qu’être favorable à sa santé. Celle-ci était alors comprise dans son sens le plus large, non pas tant le fameux silence des organes (René Leriche, 1936), la non-maladie assez illusoire et forcément précaire, que l’harmonie avec le monde réel et imaginaire qui nous entoure. Pour les Grecs (Hippocrate 460-377 av J.C.) la maladie était la perte d’une harmonie naturelle entre les quatre humeurs fondamentales du corps humain, mais aussi une fracture du lien social. Les anciens estimaient que corps, âme et esprit étaient indissociables, et la médecine s’inscrivait dans cette conviction. L’existence d’un stade dans l’enceinte du temple témoignait de l’importance que l’on donnait alors au corps et à l’athlétisme. Le théâtre donnait lieu à des représentations des grands mythes de la vie, pour que les patients comprennent bien le sens profond de leurs maladies et les enjeux des traitements. Pour qu’ils deviennent eux-mêmes les héros du mythe, dépassent leurs peurs et retrouvent enfin le sens de leur propre vie, en harmonie avec la beauté des lieux, des temples et du théâtre.
Aujourd’hui les progrès extraordinaires des sciences médicales semblent avoir fait reculer la prise en compte du couple patient-environnement, dont le dysfonctionnement me semble pourtant être assez souvent à l’origine de la maladie. La santé ne saurait être réduite à « la normalité du fonctionnement du corps » (M.D. Grmek). Certes la dimension holistique du soin que les Grecs avaient bien comprise a bien été remplacée à notre époque par une amélioration radicale de l’approche technique, pharmaceutique, scientifique et même statistique. Dans les pays riches cela a eu pour effet une amélioration spectaculaire en termes d’espérance de vie,
sinon de qualité de vie, avec toutefois encore de nombreux échecs. Dans le même temps, à l’instar de la société toute entière, la dimension psychique et spirituelle de la santé semble avoir été largement ignorée, éblouis que nous sommes par les progrès médico-scientifiques. Les lieux de culte et les librairies ont été fermés pendant les périodes de confinement, comme si la vie de l’esprit n’avait plus sa place dans la tête des soignants, des soignés, des politiques et des gestionnaires de la santé. Certes la médecine moderne utilise avec profit divers domaines de la science, la pharmacologie, la chimie, la physiologie, l’anatomie, mais pourtant la médecine elle même n’est pas vraiment une science. Pour moi elle serait plutôt un regard distancié, bienveillant et si possible optimiste sur l’état général et clinique d’une personne ou d’une société, assorti bien sûr d’un traitement qui, quoi qu’on en pense, comprendra toujours un certain effet placebo, une autre façon selon moi de nommer la bienveillance, voire la compassion et le souci de toute la personne. Cette façon plus modeste de voir les choses nous aurait peut-être évité d’assister à ces querelles d’égo entre spécialistes, qui ont largement entamé notre confiance en eux. La santé, la bonne santé, sans même aller jusqu’à la « grande santé » de F. Nietzsche*, ce n’est pas seulement se protéger des maladies, car il s’agira toujours d’un équilibre, une sorte de rapport de force. Pour la majorité d’entre nous la maladie est ou sera un mode inévitable d’existence, un jour ou l’autre. Nous devrons faire avec, comme nous devons sans cesse composer avec tous les virus présents dans l’air que nous respirons, avec ou sans ce masque à l’efficacité non prouvée (sauf au contact direct des patients). Des virus présents sur tous les objets de notre quotidien, que nous touchons sans cesse, mais aussi les virus ingérés dans nos aliments et avec l’eau que nous buvons, sans parler des milliards de milliards de milliards de virus et de bactéries contenus dans notre organisme, principalement dans le tube digestif, dont de nombreux pathogènes, avec qui nous vivons une sorte de paix armée perpétuelle, qui est notre véritable état de santé. Celui-ci est donc un équilibre dynamique, toujours remis en question, jamais définitif. C’est la condition humaine.
La maladie et la santé sont les deux faces opposées d’un même concept qui est notre équilibre intérieur, notre harmonie physique et mentale avec notre environnement. Les Chinois parleraient peut-être du Tao, le Tao de la santé ! La bonne santé, ce n’est pas vivre dans la peur en permanence, la peur de l’air que l’on respire, la peur de celui que l’on croise en chemin, la peur de son voisin, la peur de transmettre le virus à son proche parent, et pour finir la peur de la mort qui n’est pas la moindre des fragilités de notre monde post moderne. Mais au contraire il s’agit de vivre, complètement, librement, sur tous les plans, physique, psychique, relationnel, spirituel, professionnel, de donner libre cours à toutes nos forces de vie. Une maladie n’est donc pas seulement une chose que l’on attrape, ce n’est pas un virus ou une bactérie qui nous contaminent, même s’ils ont une responsabilité que personne ne nie. Le terrain (L.Pasteur), l’environnement, les conditions de vie jouent aussi un rôle majeur. On ne peut parler d’une maladie chez l’homme en faisant abstraction de tout ce qu’il est, corps et esprit, et de tout ce qui existe autour de lui. La tuberculose a reculé en Europe après la deuxième guerre mondiale quand les conditions de vie, d’hygiène, d’alimentation, de logement, se sont améliorées, même si le BCG a aidé, ainsi que la Streptomycine et le Rimifon, qui permirent de guérir enfin les méningites tuberculeuses jusque là toujours mortelles.
D’autre part lors d’une épidémie, comment expliquer que certains meurent et d’autres ne sont pas atteints. Comment la plupart des soignants (pas tous malheureusement) passent-ils toute leur vie professionnelle au contact des malades sans être eux-mêmes contaminés, si j’en juge par tous les soignants que j’ai eu à côtoyer, bien que ça n’ait pas de valeur statistique ? Ça ne peut être seulement la chance ou le hasard. On parle donc d’une immunité, innée, acquise ou adaptative, humorale, cellulaire, individuelle et collective, et il y a encore beaucoup d’inconnues dans ce domaine fondamental de la recherche. Je comprends le concept d'immunité un peu comme un muscle, qu'il faudrait entretenir tout au long de sa vie. Cela
se fait tout naturellement en étant régulièrement en contact avec des pathogènes, et sûrement pas en se protégeant de tout contact potentiellement risqué. Pour ceux qui n’ont que la télévision comme source d’information, il me semble également que le stress répété
sans fin, la peur distillée quotidiennement, l’enfermement ou le confinement, l’isolement, le trouble engendré par les mensonges, les erreurs et les retours en arrière des responsables ont une grande part de responsabilité dans la qualité de vie et même, je le pense, dans
le risque d’être contaminé et de développer d’autres pathologies telles qu’une dépression. La peur est une émotion extrêmement délétère, par le biais du stress et de la sécrétion brutale d’hormones de type cortisol, facteurs de fragilité. J. Salomon, Directeur général de la santé, a même avoué aux journalistes : « On observe ainsi une augmentation importante des états dépressifs. Le nombre de personnes concernées a en effet doublé entre fin septembre et début novembre (2020) ».
En écoutant parler nos dirigeants égrenant chaque jour les chiffres morbides de cette pandémie finalement l’une des moins graves que nous ayons connues dans notre histoire, avec une mortalité d'environ un pour mille, je pensais qu’un message à la fois plus modeste et plus
optimiste aurait été plus approprié, et surtout moins anxiogène. Le rôle de la presse écrite ou parlée n’est pas moins important en cette matière et non moins choquant. En ce qui me concerne, en tant que chirurgien, j’ai toujours cherché à rassurer les patients que je devais opérer et non à leur faire peur. Il me semblait que les suites opératoires s’en trouvaient améliorées. Me suis-je illusionné ?
Peut-on maintenant extrapoler les remarques précédentes à toute une société ? Au monde entier ? Cette pandémie de la Covid n’est-elle qu’un produit du hasard, de la malchance ou le symptôme d’une harmonie détruite, oubliée ? Le déséquilibre mondial est aujourd’hui flagrant. « Parmi les nombreuses inégalités sociales que l’on peut constater tous les jours dans le monde, l’inégal accès à la santé est l’une des plus inacceptable, tant les écarts entre les pays les moins avancés et les pays riches sont importants. L’espérance de vie est environ de 83 ans au Japon et dans les pays riches d’Europe de l’Ouest, alors qu’elle est inférieure à 50 ans dans de nombreux pays pauvres, en Afrique notamment, et tout particulièrement lorsque ces pays sont engagés dans des conflits ou des guerres civiles qui n’en finissent pas. Un nouveau-né Afghan aura ainsi un risque de mourir avant l’âge d’un an 40 fois plus élevé qu’un petit Français ou un petit Suédois. L’Afrique Noire ne disposerait que de 3% des personnels de santé en activité dans le monde et de 2% des ressources économiques de la planète, pour une population de plus d’1,2 milliard d’habitants et une croissance démographique sans précédent. Les dépenses de santé sont de quelques dollars par habitants dans de nombreux pays d’Afrique et de plusieurs milliers de dollars dans les pays occidentaux (7500 dollars par personne et par an aux États-Unis).
Marc Leclerc du sablon
Novembre 2020, 2ème confinement.