Les Chroniques Réinfocovid

Etat de droit et totalitarisme

L’Etat de droit est-il suffisant pour nous préserver de toute dérive totalitaire ? Tout se passe comme si l’Etat de droit était indissociable de la démocratie. Mais comment se fait-il que F. Hayek ait pu écrire : « Le droit de certains Etats totalitaires autorise le gouvernement à enfermer dans des camps de concentration les personnes dont les mentalités et les tendances ou la religion et la race lui sont antipathiques, et à les contraindre aux travaux qu’il lui plaît, voire à les tuer. Si énergiquement que l’on puisse condamner de telles mesures d’un point de vue moral, on ne peut cependant les considérer comme étrangères à l’ordre juridique de ces Etats » cité par Jacques Bidet, Les Paradigmes de la démocratie, 1994.

Autrement dit, et c’est ce qu’affirme Kelsen, selon Philippe Némo, La Société de droit selon F. Hayek, 1987, même les Etats totalitaires sont des états de droit (Philippe Némo, La Société de droit selon F. Hayek, 1987). Ainsi un Etat totalitaire se reconnait au fait que le droit rend légales des lois injustes…. Par conséquent, cette opposition entre Etat de droit et Etat totalitaire ne tient pas.

Pourquoi un Etat démocratique dit « de droit » peut-il devenir totalitaire ?

Parce que celui qui gouverne agit, non plus dans l’intérêt de ceux qu’il gouverne, mais dans l’intérêt d’une minorité qu’il sert. Nous n’avons pas su tirer les leçons de l’histoire à commencer par celle de la Révolution française. Les journées révolutionnaires montrent qu’il n’y a pas de bon despotisme ainsi que l’affirme Christian Delacampagne, Le Philosophe et le tyran, histoire d’une illusion, 2000. La révolution française a réalisé le despotisme éclairé de Voltaire. Les révolutionnaires ne cessaient de dénoncer la tyrannie de la monarchie pour lui substituer un « bon » despotisme : « Le gouvernement de la révolution, dit Robespierre, à la Convention le 5 février 1794, est le despotisme de la liberté contre la tyrannie ». Si les français furent despotisés par le roi, ils ne furent pas moins despotisés par la liberté au nom de la liberté. Pourquoi ce despotisme de la liberté est-il accepté ? Pourquoi la Terreur et la guillotine ont-elles massacrées tant de français ? Parce que le despotisme républicain s’est opéré au nom du peuple. Les royalistes devenaient alors des conspirateurs comme aujourd’hui les complotistes passent pour des irresponsables, des ignorants, voire des imbéciles….

Le philosophe Jean-Claude Michéa dans Notre Ennemi le Capital, 2017, rappelle que ce sont des gouvernements de gauche libéraux qui faisaient tirer sur les peuples. Ainsi des ouvriers parisiens furent massacrés par des chefs de la gauche libérale (A. Thiers, etc.) Cela nous fait penser aux Gilets jaunes…. Ne nous étonnons pas de voir nos démocraties libérales glisser vers la dictature. Au nom d’un état d’urgence universel, nous finirons par avoir des démocraties sans élection.

Rappelons que la dictature était une pratique romaine (VI-Ier siècles avant Jésus-Christ). Le dictateur était nommé par un ou deux consuls sur proposition du Sénat pour un temps court (six mois) en période de crise grave. Le dictateur était investi de pouvoirs exceptionnels pour sauvegarder la république. Jules César devait être dictateur dix ans, puis à vie. La dictature se mua en tyrannie. La dictature est ainsi ambivalente. Elle était pensée comme une mesure de sauvegarde de l’ordre constitutionnel au moyen d’un pouvoir exceptionnel circonscrit dans le temps. Or qu’est-ce qu’un état d’urgence, sinon une dictature romaine ? (Eugénie Meriau, La Dictature, une antithèse de la démocratie ? 20 idées reçues sur les régimes autoritaires, 2019).

Nous nous faisons illusion en pensant opposer les démocraties libérales aux démocraties communistes ; comme nous nous faisons illusion en voulant opposer Etats de droit et Etats de non droit. Il y avait des règles de droit même si nous ne les trouvions pas justes.

 

Ph. D.

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