Regardons le rapport de l’Etat au droit.
Qui fonde le droit dans un Etat moderne ? En effet, si c’est l’État qui établit le droit, comment peut-il limiter son pouvoir ? Qui a institué les droits de l’homme ? Les droits de l’homme limitent-ils le pouvoir de l’Etat ? Pour quelle raison, Marx opère-t-il la critique des droits de l’homme ? Ne reproche-t-il pas au droit moderne d’incarner les intérêts de la bourgeoisie ? Que reprochent, pour leur part, les auteurs contre révolutionnaires à la révolution ? N’est-ce pas d’avoir fait en sorte que l’homme politique puisse être au-dessus de la « loi naturelle » ? Mais qu’est-ce que la loi naturelle ?
Tout le problème de nos Etats modernes est d’avoir réduit la loi naturelle à la loi du plus fort. Mais c’est oublier que, depuis l’Antiquité gréco-romaine, il existe une loi naturelle liée à la nature raisonnable de l’homme. Citons Cicéron, Des Lois : « [La loi est] la raison suprême insérée dans la nature qui nous commande ce qu’il faut faire et nous interdit le contraire ». Il existe une loi naturelle inscrite par Dieu dans l’âme ou le cœur humain (Claude Plettner, L’Autre christianisme, 2015.) Cicéron la reprend dans La République : « Il est une loi véritable, la droite raison, conforme à la nature, universelle, immuable, éternelle dont les ordres invitent aux devoirs, dont les prohibitions éloignent du mal. Soit qu’elle commande, soit qu’elle défende, ses paroles ne sont ni vaines auprès des bons, ni puissantes sur les méchants. Cette loi ne saurait être contredite par une autre, ni rapportée en quelque partie, ni abrogée tout entière. Ni le Sénat, ni le peuple ne peuvent nous délier de l’obéissance à cette loi. Elle n’a pas besoin d’un nouvel interprète, ou d’un organe nouveau. Elle ne sera pas autre dans Rome, autre, dans Athènes ; elle ne sera pas autre demain aujourd’hui : mais, dans toutes les nations et dans tous les temps, cette loi régnera toujours, une, éternelle, impérissable ; le guide commun, le roi de toutes les créatures, Dieu même donne la naissance, la sanction et la publicité à cette loi, que l’homme ne peut méconnaître, sans se fuir lui-même, sans renier sa nature, par cela seul, sans subir les plus dures explications, eut-il évité d’ailleurs tout ce qu’on appelle supplice. »
Nos Etats de droit deviennent totalitaires dans la mesure où la loi ne dit plus la justice, la loi devenant injuste. Or comment éviter qu’une loi positive devienne précisément injuste ? Il faut convenir qu’il puisse exister pour cela une loi intermédiaire entre la loi éternelle et la loi positive. C’est la loi naturelle source du droit et de la justice. Ainsi nous éviterons le relativisme du juste établissant que les lois justes sont les lois établies par l’Etat. Or l’Etat n’incarne pas nécessairement la justice. Il peut devenir injuste. Que sont la loi éternelle et la loi naturelle ?
Saint Thomas d’Aquin précise ces deux lois que sont la loi éternelle et la loi naturelle (Jean de la Croix Kaelin, Saint thomas d’Aquin, Les lois, 1998). La loi naturelle est la loi non écrite. La loi éternelle, c’est la raison de la divine sagesse. Il ne faut donc pas les séparer. La loi naturelle est reconnue par la raison. Elle est accessible à tous, croyants ou non. Elle est ainsi par exemple incarnée par Antigone. Elle prendra le visage du droit des gens, des Tables de la loi, de la loi nouvelle des Evangiles, jusqu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme dans une certaine mesure. C’est la loi de la conscience. Mais c’est Kant qui a dénaturé la loi naturelle. Pour Kant, comme le fait observer le Père Jean-Dominique, Lettre à un curieux, Sur les joies de la philosophie, 2007, c’est parce qu’une action doit être accomplie qu’elle est bonne alors qu’en réalité, c’est parce qu’elle est bonne qu’elle doit être accomplie. Sinon comment ne pas relativiser et subjectiver la vie morale ?
Les conséquences sont fondamentales. Il faut pouvoir en effet objectiver le bien. De cette manière, l’homme politique doit servir, seconder la loi naturelle. Le droit positif ne doit donc pas ignorer le droit naturel au sens antique et chrétien. Tel est notre double héritage gréco-romain et Judéo-chrétien. Souvenons-nous qu’aux côtés des Tables de la loi judaïque, nous avons également la déesse Thémis, chez les grecs, déesse de la justice, incarnant la loi naturelle et Diké gardienne de la loi écrite, et servante de Thémis.
Dès lors, qu’est-ce qu’une loi juste ?
Il ne suffit pas de répondre qu’une loi est juste parce qu’elle est faite par nos démocraties libérales et qu’il nous faut faire confiance à nos Etats de droit. Nous n’avons pas à faire preuve d’une confiance aveugle à l’égard de nos Etats. D’ailleurs, un Etat de droit n’a pas, légalement, à exiger de nous une confiance aveugle.
Une loi juste doit : 1) être une loi de la raison (et non des passions) 2) une loi ayant le souci du Bien commun (et non d’un bien particulier) et être conforme à la loi naturelle (Thémis, Dix commandements, Droits de l’Homme).
Nous avons à méditer cette affirmation de Benjamin Constant : « La liberté n’est autre chose que ce que les individus ont le droit de faire et ce que la société n’a pas le droit d’empêcher » (Cours de politique constitutionnelle, ch. 1 « de la souveraineté du peuple et de ses limites » tome 1, 1836, note 1, p. 163.) Il faudrait expliquer ce que les lois ont et n’ont pas le droit de défendre.
Ph. D.