Les Chroniques Réinfocovid

Pandémie, l’humour pour stimuler les défenses immunitaires

« Une pandémie peut en cacher une autre ! »

Tout était parti de ce titre sibyllin, qui fit la une de tous les quotidiens.

D’abord tapi dans l’ombre, un nouveau virus commençait à chasser sur les terres de son cousin covid. Confronté à une espèce humaine à bout de souffle, frappée pendant des années par le corona Circus, l’allegro-virus venait de débarquer sur la scène internationale.
Certains scientifiques controversés prétendirent que c’était un effet direct de la pression de sélection exercée par la morosité ambiante. Ce nouveau mutant aurait pu émerger sur la scène mondiale en essayant d’y d’échapper. Sans doute contrarié par le succès très excessif de son cousin covid, l’allegro-virus, étrange et hautement contagieux, doté d’un brin d’ARN plus rieur que frappeur, affolait les compteurs de la contagiosité.

Un peu partout sur la planète, des êtres étaient atteints d’accès d’hilarité à répétition, souvent sans prévenir, de crises de rire à n’en plus finir, comme on n’en avait jamais vu auparavant. Du rire solitaire, du rire à deux, du rire en réunion, du rire à répétition, la situation devenait préoccupante. Très tôt, on avait sorti sur les plateaux télés nos plus tristes scientifiques, nos plus zélés médecins enfermistes, espérant ainsi calmer l’épidémie. Effet risible, car rien n’arrêtait la progression de la maladie. Le rire se transmettait envers et contre tout, plus vite qu’une traînée de poudre. Pour ne rien arranger, des formes asymptomatiques existaient : le conseil scientifique, fraîchement constitué pour porter la sainte parole, les nommaient les « pince sans rire. » On ignorait si cette population d’asymptomatiques pouvait aussi contaminer, en tant que porteurs sains. La situation allait-elle devenir hors de contrôle ? Et aurait-on pu anticiper la première vague d’allégresse générale, cette déferlante de gaudriole ? Probablement pas, le monde offrant habituellement peu l’occasion de se gondoler. Mais quelle était l’origine exacte de ce virus ? La première explication vint de loin. Elle fut fournie par une équipe australienne de chercheurs, un peu légère côté argumentation pour tout dire. Elle évoquait le passage du virus de l’ornithorynque à l’homme. Il est vrai qu’un mammifère à la tête de canard et qui pond des œufs, cela peut prêter à rire. Mais là, l’explication avait tellement fait pouffer, qu’elle avait aggravée l’épidémie ! Et ce n’était que le début. D’autres prétendaient que le virus aurait pu s’échapper d’un laboratoire P4 chinois, semblant oublier qu’on n’avait guère l’occasion de se marrer dans ce genre de structures.
L’épidémie s’étendit. On riait de plus en plus dans les écoles, cela aurait déjà dû alerter, en temps normal on s’y emmerde ferme. On se pliait en quatre au bureau ou à l’usine, ce n’était pas davantage habituel, à faire oublier la pénibilité du travail. La situation n’était pas meilleure dans les Ehpad, où les pensionnaires se faisaient d’innombrables farces, encore un signal fort ! Quant aux gouvernants, leurs revirements à répétition apportaient un peu plus d’eau au moulin de l’hilarité générale. Le virus, quoique bien installé, était cependant d’une létalité quasi nulle. La pharmacovigilance et l’honnêteté intellectuelle obligent tout de même à signaler quelques cas de personnes mortes de rire. 0,000 000 001 % de la population mondiale pour être précis. Sur ces bases et par une saine application du principe de précaution, on avait enfermé, passeporisé ou vacciné à tour de bras, histoire de soigner tout ceux tentés d’en raconter une bien bonne.
On testa les gens, merveilleuse technologie PCR à 40 amplifications de cycle pour traquer le moindre petit fragment d’humour. Un test positif signifiait que la personne avait été incontestablement en contact récent avec un sujet comique. Quelques secondes d’éclats de rire et c’était une vie qui pouvait basculer. Toutefois c’était sans doute trop d’amplification de cycles, car des scientifiques réputés crièrent dans le désert qu’à ce compte-là on allait multiplier les faux-positifs et faire rire la Terre entière. On en vint à masquer les gens, en extérieur comme à l’intérieur, tant il est vrai que la simple vue d’un sourire sur un visage peut être communicatif. Chacun se rappelle avoir pratiqué dans ses tendres années ce jeu d’enfant qui consiste à se regarder fixement entre quatre yeux, et où le premier des deux qui rigole a perdu. Oui mais là, plus question de jouer !
Malgré cette mesure, la contagiosité restait redoutable. En désespoir de cause et devant la pandémie installée, les gouvernements ordonnèrent un confinement généralisé. « Rirait bien qui rirait le dernier ! » avait dit un ministre connu pour être dépourvu du moindre sens de l’humour. Cela pourrait prêter à rire mais la situation était trop sérieuse pour prêter à qui que ce soit. Des études scientifiques irréfutables montrèrent l’utilité d’un confinement pour réduire l’envie de rire. Il est vrai que chez soi, surtout seul, ce n’est pas toujours drôle ! Les gouvernements pariaient sur le retour de la dépression pour juguler l’épidémie de rire, ce qui n’était pas idiot. Malheureusement, à la fin du premier confinement, les gens libérés se recontaminèrent très vite, riant d’abord par groupes de 6 puis dans des « rire-party » sauvages.
Plus tard, on tenta aussi le couvre-feu à 19h, une idée là encore loin d’être stupide, tout le monde sait qu’on rigole plus en dehors des heures de bureau. On ferma les restaurants et les bars, lieux de convivialité et de rigolade bien connus. Dans un premier temps, on laissa les cinémas ouverts, mais avec interdiction formelle de programmer des comédies. Jusqu’à ce qu’un spectateur qui se marrait tout seul dans une salle où on passait pourtant un drame à l’intensité shakespearienne, attire l’attention. Aux policiers qui l’interpellèrent, le prévenu déclara : « je préfère en rire plutôt qu’avoir à en pleurer ! » Il resta 48 heures en cellule de dégrisement pour lui passer l’envie de rire. Et on ferma derechef tous les cinémas.
Virus rieur, virus très farceur aussi ! Ainsi frappait-il les très cathodiques médecins alarmistes, avec la conséquence qu’ils ne trouvaient plus le chemin des plateaux télé, condamnés à errer dans Paris l’âme en peine, parfois pendant des journées entières. Eux aussi riaient, mais jaune ! Leur flot de mauvaises nouvelles, ne trouvant plus leur exutoire télévisuel naturel, menaçait de les submerger eux.
La situation évoluait chaque jour ou presque. On tenta d’effrayer, avec succès, en agitant la menace des variants, tant il est vrai que le rire n’est pas à mettre dans toutes les mains, son pouvoir pouvant être redoutable. On inquiéta la population avec le terrible variant de l’humour lourd. On alarma avec celui non moins périlleux de
l’humour gras. Le virus de l’humour à deux balles devint même un temps majoritaire, celui du rire facile ne fut pas en reste. Les journalistes parlaient de tout ça au quotidien, avec des invités tellement prestigieux que seule leur mère les connaissait avant la pandémie.
Et puis un jour, un geste barrière étonnant fit la preuve de son efficacité, surprenant les plus grands spécialistes. Il consista à ne plus flatter les bas instincts humains à longueur de journée, spécialité bien connue des chaînes d’information en continu. Les animateurs se convertirent dans un ample et élégant retournement de veste, en vecteurs de bonnes nouvelles. S’adapter ou disparaitre, ils redécouvraient cette grande loi de l’évolution. A leur grand étonnement, car ils n’avaient jamais essayé auparavant cette positive attitude, cela fit monter l’audience ! « Si seulement j’avais su ça plus tôt, j’aurais arrêté les faits divers sordides, l’information spectacle et la propagande ! » avoua l’un d’entre eux dans un grand éclat de rire. Oui, si seulement…
De leur côté, les grands labos conçurent des vaccins, normal. Leur rapidité de mise au point, tout labos confondus, fait encore sourire quand on y pense. Une petite piqûre, ou deux, ou plus, selon les marques, pour une action directe au sein des cellules. Les vaccins interdisaient en théorie au virus de la rigolade d’infecter
l’organisme. Mais ils semblaient surtout sélectionner de nouvelles formes d’humour, toujours plus résistantes. Par contre, avec les prix pratiqués et le renouvellement tous les 6 mois, les fabricants finirent par ne plus faire rire, même la commission européenne, qui pourtant d’ordinaire était bon public. Soyons juste : certains pays
décidèrent envers et contre tout de vacciner toute leur population contre le rire, de 7 mois à 97 ans. Le résultat dépassa toutes les espérances : on s’y ennuya si ferme, que tout le monde voulait en partir ! Cloués au pilori, écœurés par l’évolution d’un monde qu’ils ne comprenaient plus, les producteurs de petites fioles
vaccinales firent grise mine. Ils finirent par prendre le parti d’en rire, une sage décision qui fit même remonter le cours de leurs actions.
Les politiques eux, avaient vendu au public une guerre dès le début de la pandémie. Malheureusement ce sont plutôt des rafales de rire qui pilonnaient toute la société, n’épargnant personne, pas même les militaires. Ordres, contre ordres, déclarations, rétractions, avancées, reculades, un pas en avant, un pas en arrière, un pas sur le
côté, un pas de l’autre côté, « eh bien dansez maintenant » semblaient dire les dirigeants à leur population.
Même Bill et Mélinda, fraichement divorcés, en garde partagée de leur fondation, avaient perdu leur foi en Homo vaccinatus. Leur rêve de vacciner la Terre entière contre toute forme de rire, un bien noble dessein, se rangeait peu à peu au panthéon des vanités humaines.
Mais alors me direz-vous, comment tout cela se termina-t-il ?
On ne trouva jamais de remède au virus, on apprit à vivre avec, voilà tout. L’allegro-virus s’incorpora au génome, le niveau moyen des blagues augmenta, seule conséquence notable et bienvenue. Un mal pour un bien, tout plein de petits amuseurs publics viendraient à naître dans les prochaines années…

Loïc

 

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