Les Chroniques Réinfocovid

Stockholm 4 , février 2021. Au fil de l’eau (suite)

Je me déplace de plus en plus en bateau-bus. Je me régale d’entendre le fracas des plaques de glace sous l’étrave du bateau, de regarder les nuées de canards et de cygnes qui glissent sur l’eau ou colonisent les minuscules îlots d’eau congelée à la dérive. Pas facile au départ de comprendre le réseau des bateaux et les horaires de ces derniers qui desservent les nombreuses îles. Je décide après trois jours de tâtonnement d’aller à Waxholm, au nord de Stockholm. Finalement, malgré la glace, malgré la basse saison, je finis par découvrir qu’il y a deux bateaux qui partent pour cette île : un à 11heures, un à 16h30. J’arrive au bon quai le matin, bien trop en avance, il fait sacrément froid. Pour me réchauffer je marche 20 minutes de Strömkajen jusqu’au deuxième embarcadère, le long de Skeppsbron jusqu’ à Slussen. Un couple un peu plus âgé que moi discute devant le quai : les seuls passagers concernés par ce périple. Aussi perdus que moi : il est très difficile de savoir en cette saison s’il y a un bateau ou pas pour Waxholm, eux qui sont d’ici ne le savent pas très bien non plus. Qu’est-ce qui t’amène en Suède me demanda-t-elle ? La dictature sanitaire en France lui répondis-je. Ma déclaration l’enchante, manifestement on est sur la même longueur d’onde. Finalement le bateau arrive, plus imposant que les autres et à deux étages. J’y vais ou pas ? Pas moyen de savoir s’il y a un bateau-retour. Mon voisin de quai finit par avoir l’information sur son portable : il n’y a qu’un seul bateau pour le retour et il part de Waxholm à 13h20 ! Il me dit cela au moment où on doit embarquer, et skynda dig! (vite !) nous disent les membres de l’équipage, plutôt bourrus. Tant pis, j’embarque. Le couple prend ses quartiers à l’étage, il doit y avoir une dizaine de passagers en tout. L’intérieur est bien chauffé, très confortable, lumineux, en particulier en haut. De grandes fenêtres donnant sur la mer de glace, les îles et paysages enneigés. Un bar avec gâteaux, cafetières et bouilloires rutilantes, une agréable odeur de café, de cannelle et de viennoiserie, un sentiment de douceur feutrée. Tout est calme, hormis le grondement de la glace brisée par l’étrave du bateau. On sent le frottement sous la coque qui fait trembler et ronronner le bâtiment. J’explore les deux étages et la Suédoise du quai m’invite à la rejoindre, elle et son compagnon à une table vers l’avant, entourée de fauteuils confortables. Et me propose un café. Je suis enchantée de l’invitation mais savoure mon maté et nous discutons durant tout le voyage (une heure quinze dans cette grisaille fascinante de mers et d’iles gelées). Un sentiment de protection infinie dans ce bâtiment qui avance en frottant l’eau et la glace, sentiment qui me ramène à cette sensation délicieuse que l’on éprouve par temps d’orage sous la couette. La France, le Covid, la folie sanitaire, le courage du gouvernement suédois, ma famille coincée en France à cause des nouvelles règles d’entrée en Suède, les musées privés quand même ouverts en Suède (ah bon !) … Nous parlons des chiffres des faux « tests », où l’on confond volontairement les asymptomatiques avec les malades. Ils entretiennent la peur dis-je à mon interlocutrice, qui me répond plus radicale : «They create the fear ».

 

 

Je me risque à leur demander s’ils sont en couple. Marika, c’est son prénom, me répond : nous sommes un couple de divorcés, the best friends ever ! Décidément, quelle rencontre et quel couple ! Marika et Gunnar vont rendre visite à leur fils sur l’île de Rindö, juste après Waxholm, et m’invitent à se revoir cet été et faire de la voile ensemble… On se donne nos adresses et numéro de téléphone, je descends avant eux, ils continuent encore quelques encablures. Je n’ai qu’une heure pour parcourir Waxholm, île adorable emmitouflée dans la neige et la grisaille. Le retour me laisse seule avec une quinzaine de passagers, silence total à bord du même bateau. J’en profite pour m’installer confortablement à l’avant et profiter du paysage en savourant mon maté. Le soleil se lève et inonde toute la baie maintenant et ricoche sur les milliers de morceaux de glace qui couvrent la surface de l’eau. L’habitacle parait encore plus chaleureux, les ombres longues de cet après-midi d’hiver se déplacent à travers chaque fenêtre selon la trajectoire non linéaire du navire. Les profils des rares passagers se découpent en ombres chinoises parfaites, et je dirais, intacts de tout obstacle qui pourrait altérer leur morphologie. Pas loin de moi, un jeune homme yeux mi-clos, grand, coiffé de son inséparable bonnet, au jean troué laissant émerger la peau ambrée de ses genoux, (le luxe de la jeunesse non frileuse sous ces frimas) me fait l’effet d’un lynx qui paresse face au soleil que les fenêtres déverse. Le temps s’écoule très lentement, j’ai envie que ce périple dédié à la paix et à la contemplation ne s’arrête jamais.

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