Les Chroniques Réinfocovid

Stockholm 7 , journée du 13 février 2021

Rituel du maté: 4 lieux différents le long de Nörr Mälarstrand

Dernier jour avant l’installation à Södermalm

Je décide pour cette matinée à -12°C, de boire le maté le long de ma promenade quotidienne, dans quatre haltes ensoleillées, face à la mer.

Premier lieu : une table au soleil, à l’abri de la bise devant Mälaren. La glace a gagné du terrain, les bateaux frottent pour se frayer un chemin contre les blocs disloqués. Au premier passage, le bruit de la glace qui se rompt est plus fort que d’habitude. Mais ô surprise, dans les minutes qui suivent, la rupture des plaques se transmet sous l’épaisseur, fissurant l’ensemble jusqu’aux berges en créant des sifflements qui se propagent comme des serpents aléatoires et créant ça et là des bruit de claquements stridents. Un effet sonore fascinant pendant plusieurs minutes.

Deuxième lieu : le ponton avant le pont de Västerbron

Il y a là un joli ponton inondé de soleil avec des bancs au sec, poste de repos ou d’observation privilégié, déjà pris. Une belle dame emmitouflée dans un son manteau de fourrure savoure le soleil. Je la rejoins et arrivent 4 Suédois, équipés de sacs à dos et tapis de sol. Nous échangeons tous en anglais. Deux hommes et deux femmes, deux couples dans la vie, la femme la plus âgée étant la mère de la plus jeune femme. Ils cherchent à crever la glace et s’immergent une minute à tour de rôle dans la toute petite surface non gelée. Ils viennent là chaque samedi matin stimuler leur système immunitaire grâce au froid. Nous sympathisons, partageons la même croyance dans les vertus du froid. Je bois le maté en leur compagnie pendant qu’eux savourent le thé chaud de leur thermos et ce moment « d’intégration » après le bain glacé. Ils se sentent immunisés grâce à cela, mais ne se voient en famille, c’est-à-dire tous les quatre, me disent-ils, qu’à l’extérieur. Et l’homme d’âge mûr, qui m’explique être d’origine italienne, grand buveur de vin devant l’éternel, se méfie comme de la peste de Schwab et de son grand Reset économique. Il me demande si je suis au courant, je lui dis que oui, et nous convenons que nous sommes sur les mêmes analyses de la situation du Covid, sur cette planète. Et nous convenons également que la Suède est décidément un pays bien mieux administré qu’ailleurs en Europe en dépit des pressions et critiques des voisins directs : Danemark, Norvège, Finlande.

En chemin, la partie congelée de la mer s’est tellement étendue, que maintenant marchent et glissent les familles sur cette grande surface poudrée.

Les cygnes et canards trottinent, leur dernier point d’eau ayant été pétrifié.

Troisième lieu : la série des trois pontons avant d’arriver à l’hôtel de ville. Deux pontons sont occupés par des familles, celui du milieu est libre, j’installe le maté sur le banc. Arrive un homme d’une quarantaine d’années avec son jeune fils. Il m’aborde immédiatement et me demande ce que je bois. Je lui explique que je prends le maté, « comme Griesman » (« ah, je vois, mon fils est un spécialiste de Griesman », dit-il en anglais). Et on se met à beaucoup bavarder, et il m’explique que son père est d’Argentine et qu’il aimerait bien aller découvrir ce pays. On se recroise plus loin en riant, après avoir longuement discuté de la Suède, de l’Amérique du Sud, de la folie sanitaire en France …

Quatrième et dernier lieu : la balustrade devant Stadhuset (l’hôtel de ville). Je bois le maté, il y a du monde qui se prélasse au soleil sous les arcades face à la mer. Pas de rencontre cette fois.

Décidément ce lieu m’aimante en permanence, je fais toujours un détour par là pour contempler les arcades massives et leur rythme protecteur. Face au bâtiment, la glace s’accumule et la neige se condense en congères grises de plus en plus épaisses. Un chalutier passe son temps à faire des allers-retours pour ouvrir un chemin d’eau aux bateaux-bus qui doivent accoster à Klara Mälarstrand.

Après-midi, bateau-bus, direction Djugården

Il fait tellement doux, (-2°C, un bonheur!) que c’est un plaisir d’être dehors sur le ponton pendant la courte traversée. Plein de jeunes et de jeunes couples à la proue comme moi. Un sac-à-dos aux pieds du grand gaillard qui enlace sa copine devant moi. Poche de droite : un thermos ; poche de gauche : une bouteille de vin rouge. Je parie qu’il y a des verres à vin dans le sac et je les imagine dégustant leur vin sur l’une des berges de Djugården, face au soleil couchant.

J‘arrive au Musée du Prince Eugen, déjà complet ! Impossible d’entrer, donc. Je continue sur les berges ensoleillées. Après une longue promenade, je tombe sur le beau bâtiment Art Déco de la Galerie Thielska et ses jardins couverts de neige. Je fais une pause désaltérante au restaurant du musée. Beaucoup de monde, c’est très chaleureux. Sur le chemin du retour par les mêmes berges décidément éclatantes de soleil, j’entends parler français et salue trois jeunes gens assis sur un banc qui prennent le soleil face à une petite crique. Nouvelle longue discussion, en français cette fois. Ils sont là, chacun, qui ne se connaissait pas au départ, en année de césure ou en stage jusqu’en juin, et depuis le 1er janvier. Tous ont choisi la Suède pour fuir la folie sanitaire française. Ils sont tellement heureux d’être ici, et plaignent les étudiants français dont la dépression et les taux de suicides explosent. Oui, nous acquiesçons : d’ici, la France nous paraît être un monde anormal. Et nous saluons tous les quatre la Suède pour ses choix politiques et voyons que les institutions suédoises protègent davantage les citoyens de leurs gouvernants que chez nous. Les restrictions concernant les fermetures des restaurants à 20h30 (l’alcool cesse d’être vendu à 20h) ne peuvent aller au-delà de la fin-mars, car ce serait anticonstitutionnel m’expliquent-ils. Décidément, voila des institutions solides et solidement gardées. Mes interlocuteurs me disent vouloir se faire vacciner tous les trois et sans attendre, persuadés que tout s’arrêtera grâce à la vaccination.

Je les retrouve dans le tram du retour pour le terminus T-Centralen. Ils acceptent volontiers que je les dessine : Arthur, Louis et Milan. Et me conseillent les bonnes adresses pour boire un verre le soir (c’est-à-dire avant 20 heures).

Le soir, j’erre au hasard dans Gamla Stan. Envie d’un verre et de quelques tapas. Je cherche un lieu vivant. Devant un pub, deux Irlandais entre cinquante et soixante ans et éméchés m’interpellent : Come here, its a good spot ! Rien de tel pour me convaincre d’entrer. C’est étroit, rempli de sœurs et frères humains, beaucoup d’Irlandais, très vivant, super ambiance. Vu de France, c’est l’Enfer, pour moi, le Paradis ! On n’entend parler qu’anglais, avec un sacré accent d’Irlande. La bière coule et circule à flot, et le barman rouquin est British. Sur les écrans, match de rugby Wales-Scotland, et les Écossais mènent. Des filles plantureuses dont ma voisine de tablée, une Suédoise très déshabillée et incroyablement tatouée.

On discute et cette grande voyageuse attend le vaccin avec impatience qui lui permettra de parcourir le monde de nouveau et comme bon lui semble. Elle est effarée par mon refus de me faire vacciner : tu es la première personne avec qui je discute qui ne veut pas du vaccin ! Intérieurement je me dis que de tous les Suédois avec qui j’ai discuté, elle est la première qui l’attend comme le Saint Graal, les autres sont très méfiants. Mik, Irlandais sexagénaire qui m’a prise sous son aile, me chuchote : you and I know we dont need that shit. Je me place dans un coin stratégique bien visible, et les échanges s’enchaînent à toute vitesse. Nos Irlandais ont besoin de câlins, fuck les gestes barrières manifestement ici, quelle joie ! On se salue en se cognant les poings et pas les coudes comme le font beaucoup de Français. Mik, très affectueux s’est incrusté à ma minuscule table qui est un couvercle de WC en bois en fait, recyclé en table de comptoir. Ce coin est normalement condamné et recouvert d’une croix en rubalise, pour «les distances sociales», mais on m’a installée là, et j’en suis ravie. On parle et on boit beaucoup. Mik et moi, on est cent pour cent d’accord sur cette histoire du Covid… tout ça pour ça ! Mon accent s’améliore au fil de la montée du taux d’alcoolémie dans le sang.

Arrive Emer, une jeune et jolie Irlandaise à la mâchoire carrée et au regard pétillant sous ses cheveux courts et accroche-cœur bruns. Une habituée (comme tous ici, Mik vit là depuis 10 ans, Emer est arrivée à Stockholm il y a cinq ans). «Emer», «like emergency», dit-elle en riant. Elle sympathise tout de suite et lorsque je pars, elle me dit : reviens ici avant ton départ, on se reverra, ça me fait plaisir de parler avec toi. Quelle ambiance de confraternité ! Des mois que nous sommes privés de cela en France… Les tablées se font et se défont, se brassent (parfait pour un pub où la bonne bière se déverse allègrement). Betina, la jolie serveuse brune, est adulée ici. Elle vient me voir et me dit qu’elle est Argentine. Je m’adresse aussitôt à elle avec l’espagnol du Rio de la Plata. Elle est enchantée et veut mes coordonnées. Elle demandera à ses amis argentins de Stockholm s’il y a des milongas clandestines et me préviendra.

20 heures : coup de cloche, fin de la vente d’alcool. Je quitte Mik, qui m’a offert une cigarette. Première cigarette et première bière de l’année 2021. Merci Mik, merci aux esprits celtes, nordiques et rioplatenses. Je rentre pompette, je ne sens même pas le froid !

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