Artistique

DIABLE EN CONTE POUR DR LOUIS FOUCHÉ

Le Diable

Ti-jac sans peur revenait de guerre, sac à l’épaule, canne au poing, manteau fané, bottes trouées.
Un soir venteux sur son chemin, merci Dieu, enfin un village. Maisons basses, fumiers bourbeux. Un chien vint lui gronder autour. Une vieille, devant sa porte, balayait quelques rats crevés. Elle râlait dur.

- Salut, grand-mère ! Y a-t-il une auberge où loger ?
- Une auberge, ici ? Ah, misère !

Elle ricana, torcha son nez. Elle lui désigna la colline.
- Nous avons bien ce vieux château, mais il n’y fait pas bon dormir.
Le diable y vient, à ce que l’on dit. Ceux qui ont risqué leur carcasse entre ses toiles d’araignées sont tous morts d’épouvante pâle.
- Hé, qu’importe ma bonne mère ! Pourquoi crois-tu qu’on m’appelait, dans mon régiment, Ti-Jac sans peur ? J’y roupillerai comme un loir !

Il grimpa jusqu’à la bâtisse, il poussa le portail plaintif, fit sonner son pas sur les dalles d’une salle aux meubles moisis. Il faisait froid. Il alluma un grand feu dans la cheminée, s’y chauffa les pieds et les mains, puis sortit ses trois dés d’ivoire et se mit à jouer tout seul.
Il les lança sous la chandelle. Ils roulèrent. Un bras pâlichon tomba, badaboum, du plafond, de l’autre côté sur la table, un deuxième, puis deux jambes. Ti-Jac, rigolard, leva le nez.

- Hé, là-haut, merci pour les quilles ! Manque la boule, envoyez-la !
Une tête dégringola, rebondit sur les quatre membres. Tourbillon de pieds et de mains. Un petit bonhomme apparut, regard torve, barbe
pointue, cheveux plantés en balai-brosse. C’était le diable.

Il dit :
- Bonsoir.
- Salut à toi, répondit Ti-Jac. Grand merci pour la compagnie. Si nous jouions une partie ?
Il lui fit un clin d’oeil canaille.
- Bien volontiers.
- À toi l’honneur.
Le diable agrippa les trois dés, souffla dessus, les fit rouler. Le premier tomba sous la table.
- Ramasse, dit le malotru.
- Fais-le toi-même, peau de bouc, je ne suis pas ton domestique !
Le diable recula sa chaise, il ronchonna, se baissa. Alors Ti-Jac empoigna sa canne, et à deux poings, coup droit, revers, il s’abattit sur le mauvais, sur son crâne, son dos, ses fesses.
- Tu croyais rouler Ti-Jac sans peur ? Que lui veux-tu à ce château ?
Hé, pet de Dieu, avoue, sinon je te hache en purée de viande !
- Yayay ! pitié, je meurs, arrête, assez, drapeau blanc, je dis tout !
- Suis-moi. Promets, ne tape plus !
Il s’en fut en trottant, trébuchant, le dos courbe, en tenant ses reins. Ti-Jac le suivit, le bâton haut. La cheminée. Au fond de l’âtre, un placard déguisé en mur. Ouverture. Des pièces d’or ruisselèrent en flot cliquetant jusqu’au beau milieu de la salle.
- C’est ma réserve, dit le diable. L’or me sert à pourrir les gens. Pour une poignée de ces pièces, ils me laissent prendre leur âme.
La tienne, Ti-Jac ?

- Non, je n’en veux pas.

- Que veux-tu, je suis peu de chose. Mon seul pouvoir est d’effrayer. Là sont ma gloire et ma puissance. Qui me regarde sans effroi voit ce que je suis, rien de plus un petit bonhomme flapi, un monstre de papier, de pacotille. Prends ce que tu veux et va-t’en. Moi, salut, je vais me coucher.
Il s’en fut. L’ombre l’effaça. Ti-Jac emplit son sac à ras bord et s’en fit un bel oreiller.
Le lendemain de bon matin il remit sous ses pieds la route. Après douze jours de bon vent, la capitale du royaume lui vint devant.
Le glas sonnait à tous les clochers de la ville. Il pleuvait des larmes partout. On sanglotait dans les mouchoirs, on voilait de deuil les façades, on s’agenouillait dans les rues, on appelait Dieu au secours. Ti-Jac s’informa.

- Qu’est-ce qui se passe ?
- La fille du roi, lui dit-on. Elle doit être livrée au diable. Une fois par an, c’est ainsi, une pucelle doit payer la tranquillité du pays. Cette année, malheur sur nos vies, c’est notre princesse Lison qui a tiré la paille courte. Regardez-la comme elle est belle ! Avec quel courage elle s’en va !
Une jeune fille pieds nus, couronne fleurie, robe blanche, entre deux haies de cris fêlés, de gémissements, de murmures, descendait la rue vers le fleuve où l’attendait le bateau noir. Ti-Jac accourut à son côté.

- Je vous accompagne, dit-il.
- Inutile, c’est sans espoir.
- Que nous importe, allons toujours !
Sur le rivage, plus personne, sauf le diable qui descendait la passerelle pour accueillir son beau cadeau. Il aperçut Ti-Jac.
- Aïe, malheur ! Encore toi ? Je suis maudit !
- Tout juste mon beau. Tu décampes, et tu ne reviens plus ici, sinon, je dis à tout le monde que tu n’es qu’un loup de papier !
- Ok, ok ! C’est d’accord, ne t’énerve pas.
Le diable hissa la voile en grande hâte. Retour triomphal au palais.
Le roi invita le sauveur de sa Lison à déjeuner.
- Ainsi, surprenant jeune homme, vous ne connaissez pas la peur.
- Non, Majesté. Je le regrette. J’aimerais bien la rencontrer pour voir quelle tête elle me fait.
- Attendez le dessert mon cher.
Fin du repas. Gateau-surprise.
- Découpez-le, mon bon ami, dit la princesse à son voisin.
Son voisin, c’était Ti-Jac, bien sûr. Comme il avançait le couteau, la montagne de chantilly, s’ouvrit soudain, deux oiseaux blancs en
jaillirent et s’envolèrent au nez du sauveur ébahi. Il sursauta, cria :
- Holà !
- Vous avez eu peur, dit le roi.
- J’avoue. Merci, c’est délicieux.
Inutile de vous le dire, Ti-Jac sans peur épousa Lison. Elle l’effraya de temps en temps. Mais l’amour seul parvint à faire ce que le diable n’avait pu.

 

Les 9 vérités du diable

C’était une vieille tranquille. Elle était pauvre, elle vivait seule dans sa maison bancale et sombre, sauf au coin du feu où elle méditait tous les soirs, en triant des légumes secs ou en se tricotant des mitaines. Elle n’était pas triste, oh que non ! Elle avait la mémoire pleine… euh ! comme un répondeur saturé. Son passé ? Son jardin secret ? Un verger de fruits défendus ! Elle riait parfois toute seule, en pensant à ses vieux amants, en se rejouant ses amours, ses folies, ses frasques amoureuses, et ça, ça ne plaisait pas au diable.
Vous savez, le diable n’aime pas qu’on soit pauvre et content.
Voilà. Il admet le 7ème ciel, mais seulement si on en redescend coupable. Le diable adore les coupables. Et cette vieille là, coupable ? Pensez donc ! Elle croyait que le mot remord signifiait mords-y encore ! C’est vous dire où elle en était !
Donc, une nuit de pleine lune, le diable vint cogner de l’ongle à son carreau, bien décidé le bougre à lui chouraver l’âme. La vieille leva le front, elle le vit là qui balançait sa langue entre ses crocs pointus, et qui louchait sous ses sourcils touffus. Le diable ricana et dit :

- Si tu me dis 9 vérités, la vieille, regarde ce que je te donne.

Il fit tinter entre ses griffes une bourse remplie de pièces d’or.

- Mais, si tu ne sais pas les dire, ces 9 vérités, la vieille, je te mange, je te dévore.

9 vérités ! se dit la vieille… Moi qui savait si bien mentir !
Enfin, se dit-elle, puisqu’il faut le faire. Elle posa son tricot, se gratta le chignon, fit trois signes de croix, et en voiture Simone.

- 9 vérités…Eh ! bien écoute, dit-elle, j’en ai une qui peut faire l’affaire. Enfin je crois. Elle est un peu ésotérique, mais je crois que tu la comprendras :

Le coeur d’une femme ne bat pas seulement sous le sein gauche.

- Une, dit le diable. Il renifla.
- Bon, eh bien voilà. C’est simple dit la vieille. Voyons, voyons. Ah ! mon premier amant. Ah ! le bon Jean. Alors écoute, écoute bien
diable :

- Le dard de mon amant était tendu comme une perche, j’allais tomber, je l’ai saisi, il m’a sauvé la vie.
- Deux, dit le diable. Et il cracha parterre.
- Ça y est maintenant, j’ai pris mon souffle, voyons, voyons. Ah ! oui… j’ai connu un prêtre, un rabbin, un musulman… au-dessous du
nombril toutes les religions se ressemblent !
- Trois, dit le diable. Yay, yay, tu traînes la vieille, ma patience s’use.
- Allons, allons, vous n’êtes pas bien là avec moi. Restons tranquilles. Vous me troublez. Ne me troublez pas ! Alors, voyons…
oui, ah oui :

- d’un lion parfois le désir peut faire un âne, et d’un âne un lion.
- Quatre, dit le diable. Yay, yay, j’en ai les canines qui pleurent tant elles ont envie de croquer. Presse-toi la vieille, sinon je te dévore.
- Allons, allons ! Ne vous énervez pas. Vous n’êtes pas aussi méchant que vous y paraissait. Alors voyons, euh…! je commence un peu
à m’essouffler là. Ah ! bien oui, alors-là oui. Si une femme le veut vraiment, elle se donnera au travers d’une porte clouée. Alors, là, j’ai des preuves.
- Cinq, dit le diable. Manque quatre.
- Bon, alors, manque quatre. Voyons, voyons. J’ai connu un bûcheron. Il s’appelait Nicolas… Ah ! oui ! il me disait…il me disait :

- à sa manière de de réchauffer un oisillon, on reconnait la femme qui saura caresser la queue de…Oh ! Non ! Ah ! non, mais là vous me faites dire des choses inconvenantes…
- Je te mange !
- Qui saura caresser la queue de son père… le père de l’oisillon bien sûr. Non, mais vous comprenez, moi c’est intime quand même ces choses-là !
- Six, dit le diable. Manque trois.
- Trois ? Bon, eh bien là alors, je ne sais plus ! Seigneur, aidez-moi. Aidez-moi, seigneur, sinon je passe à la paroisse voisine. Seigneur, au secours, ça urge. - S’il vous plaît seigneur…Ah ! merci seigneur.
- Là où va ton dard, va ton pied. Voilà ! Ça c’est simple, hein !
Ça ne mange pas de pain !
- Sept, dit le diable. Manque deux.
- Oui, bon eh bien là, je sais plus. Je ne sais vraiment plus.
- Tu abandonnes !
- Ben, oui, qu’est-ce que vous voulez que je fasse. J’abandonne. Mangez-moi…Ah ! mais non, mais non. J’oubliais l’essentiel :

- à la guerre d’amour, le vaillant est celui qui dépose les armes en premier !
- Huit, dit le diable. La dernière vérité, tu ne la trouveras pas la vieille. Allons ! Finissons en bougresse. Tu préfères m’ouvrir la porte, ou je passe à travers le mur ?
- Oh !… alors, la dernière vérité, celle-là, je la connais par coeur ! Même le diable a ses droits, et là, mon beau monsieur, je sais de quoi je parle. Figurez-vous, qu’un jour, mon père, m’envoie traire la vache à l’étable, et là, qui je vois dans la paille prêt à se faire traire lui aussi, le brigand d’Alfred, notre garçon de ferme. Alors, je me dis, le diable même moche a lui aussi ses droits,
…et…
- Tais-toi, la vieille, ça suffit. Le voila ton or…
Et le diable s’en fut dans un tourbillon de poussière et de fumée rouge, en lâchant un pet si puissant que la maison trembla.
- À vos souhaits, dit la vieille. Et elle se remit à son tricot.
Le sac d’or resta sur la fenêtre, dehors, entre deux pots de fleurs.
Le lendemain, elle le trouva. Elle le cacha dans son armoire.
Et puis, vous savez comment sont les vieux. Elle oublia qu’elle l’avait mis là. Elle le chercha une matinée, puis elle oublia ce qu’elle cherchait. Alors, elle s’en revint à ses amours, qu’elle couvait comme des oeufs de caille, sous la cendre de ses cheveux.
L’or du diable resta caché dans l’armoire. Il était trop lourd pour sa tête.
L’amour ne se paie que d’amour. C’est la dernière vérité, et celle-là n’est pas du diable.
Gardez-là au plus chaud de vous.

TchéRIEN

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