La grande expérience
• 01 - L’exode
• 02 - Le monde de Faraday
• 03 - Boucle d’or noir
• 04 - Dystopie
• 05 - L’électricité
• 06 - Les vérités
01 - L’exode
Au cours des années vingt, pendant la période transhumaniste, Jasaf.P habitait une grotte, au fin
fond d’une vallée, à l’orée d’une grande forêt de chênes tortueux, de forme sage et tous centenaires.
Il habitait seul cet endroit reculé, se nourrissant de cueillette et de chasse, il vivait au jour le jour se
suffisant de ce que la nature lui autorisait à prélever. Parfois au détour d’un sentier, il croisait des
randonneurs, une ou deux rencontres dans l’année, seulement pendant l’été. Cet endroit, il l’avait
choisi car il était loin de tout. C’était le lieu idéal pour P. qui savait rester courtois tout en évitant la
conversation lors de ces rencontres. Lorsqu’on l’interrogeait, il gardait secret la raison qui l’avait
menée à s’isoler dans cet endroit, loin des villes.
Un matin de décembre froid et brumeux, Jasaf marchait à l’affût, complètement silencieux, il se
déplaçait sur un tapis de mousse emprisonné par une fine croûte de glace. Avec une visibilité
réduite, tout au plus deux mètres, il chassait. En cette période de l’année où il n’y avait plus de
baies, il savait que n’importe quel animal était une opportunité pour lui de survivre un jour voir une
semaine de plus. Tout dépendait de la taille de la proie et sa dextérité du moment.
Ce qu’il vu ce jour là, dépassait l’entendement, alors que l’on ne distinguait que la mousse luisante
et blanchâtre dans le brouillard silencieux, P. entendit des voix. Peu enclin à faire une rencontre,
l’hermite se réfugia au pied d’un rocher noir s'agenouillant parmi les fougères, à l'affût. Abrité
derrière la pierre, P. pu distinguer un groupe de personnes, ils avançaient comme des fantômes en-drapé dans le blanc cotonneux de l’hiver.
P. reconnut aussitôt qu’il s’agissait d’un groupe de
réfugiés clandestins, il observa dans leur yeux verts et bleus ce qu’il avait déjà vu dans le regard des
Tutsis. C'était la peur et la persécution. Ne se sentant pas en danger, il se leva de derrière les
fougères et se décida à leur faire savoir sa présence. Il monta sur le rocher et sans les effrayer il leur
dit: « Bonjour et bienvenue! »
Une femme menait le groupe, peut être une passeuse, elle détourna la tête vers P. tout en tirant un
coup de feu en l’air avec un fusil de type militaire. Elle dit: « Qui va là? Qui est-tu vagabond? »
Jasaf pris une grande inspiration, cela faisait plusieurs mois qu’il n’avait pas parlé, il bomba le torse
et dit à voix haute avec un ton accueillant malgré l’arme et l’odeur de poudre. « Je suis Jasaf.P, je
suis l’hôte de ces bois! Et vous? » Bien que tous auraient pu lui répondre c’est la femme qui menait
le groupe qui le fit. Elle sourit et lui répondit: « Je suis Julia et nous te cherchions! » Elle se
retourna vers le groupe qui semblait apeuré par P. ou le coup de feu, elle dit en les regardant, ils sont
traqués car ils ne sont pas marqués, ils fuient les villes. Et en pointant l’index vers ce qui ne
semblait pas être les siens, elle dit: « Ils sont les non vaccinés. »
–
02 - Le monde de Faraday
P. les regarda avec compassion tout en pensant qu’ils ne pouvaient s’être affublés eux-mêmes de ce
nom.
Il savait comment trouver dans la nature de la viande ou des baies pour un repas, mais là, devant lui,
grelottant de froid, ils étaient une dizaine, collés les uns aux autres faisant penser à une seule proie,
sauf Julia qui n’avait plus rien dit depuis sa présentation, attendant sûrement que Jasaf engage la
suite, elle lui sourit alors qu’il la regardait. P. s'efforçait de maîtriser sa pensée, au cas où elle*
puisse le sonder, puis il s’adressa au groupe et leur dit en ces mots: « Que seuls les non implantés
me suivent! »
Ils avancèrent tous d’ un seul mouvement, changeant de forme comme le ferait un banc de thon
jusqu'à dépasser le rocher noir laissant Julia dans un vortex constitué de gouttelettes d’eau laiteuse
en suspend, sans même la remercier ils se séparèrent là. Maintenant qu’ils suivaient P. dans le
brouillard, il ne lui restait que peu de chance ce matin, pour qu’il mange copieusement.
Dans ce groupe, il y avait un enfant paré de boucles brunes, il accéléra le pas pour rejoindre Jasaf et
après s’être tenu quelques mètres à marche forcée près de lui, il pris la main rugueuse de l’adulte et
lui chuchota gaiement :
– « Tu nous a appelé les non implantés, LOL, alors que nous sommes les non vaccinés. »
– « C’est pareil gamin! »
Répondit sèchement P.
- « La femme aux vêtements de Faraday, Julia, ne vous a- t’elle rien expliqué? »
Et avant qu’il réponde, P. lâcha la main du garçon et vociféra :
- « Retourne dans le groupe je t’expliquerai plus tard qu’il ne s’agit pas de santé. »
La naïveté des enfants leur fait imaginer l’impossible, tandis que celle des adultes les amène à
occulter la réalité. Ils semblent tous ignorer ce qu’ il leur arrive se dit P., peut-être que l’ enfant sera
le seul à survivre, le plus apte à s’acclimater aux rudes conditions du long hiver des Alpes.
Il les emmena entre deux pics rocheux situés dans une fissure rocailleuse tapissée de lichen poivre
et sel, à l’orée de la forêt de chênes. S’y trouvait tout au fond une grotte étroite qui, avant que P. ne
l'occupa à sont tour, était habitée par une meute de loups. Une fois à l’intérieur, il les fit s’asseoir
près d’ un feu et leur expliqua que la condition pour manger serait d’apprendre à cueillir et à
chasser. Il leur dit également qu’ils mourront probablement avant la fin de l’hiver, car le cycle de la
vie des animaux est rythmée par les saisons et l’hiver, pour ceux qui n’hibernent pas, c’est la
période la plus difficile de l’année dans les Alpes. Personne n'y trouva à redire, après ce qu’ils
avaient dû subir peut- être que l’idée d’une mort naturelle les rassurait. Jasaf lui s’en fichait de
mourir, il conservait toujours sur lui des graines de ricin et de la digitale au cas où, sans issue, un
jour, il devrait s’éviter la souffrance par le suicide. Ils attendirent là, ces ‘non vaccinés’, jusqu’ à la
fin de la journée sans se parler et quand vint enfin le soir, ils s’endormirent blottis les un uns contre
les autres près du feu. Jasaf s’endormit aussi, malgré la faim au ventre qui le tenaillait.
Le lendemain, un grand ciel bleu paré d' un soleil jaune et puissant, presque chaud pour décembre,
avait fait s’évaporer le brouillard. Des petits ruisseaux sinueux, à l’eau pure et cristalline,
crevassaient la neige en clapotant. P. leur fabriqua des armes faites de bois et munies de pointes en
os. Ils chassèrent alors en groupe avec instinct et succès. Une seule nuit dans la nature avait suffit à
cette meute d’humains pour se reconnecter aux éléments naturels. Ils péchèrent du poisson à main
nue sous les rochers, dans une rivière tapissé de galets, ce fut un jour magnifique pour les non
vaccinés, un comme il n’en n’avait pas vécu depuis bien longtemps. Jasaf se dit alors qu’ hier il
s’était fourvoyé, il n’aimait pas cela et préférerait penser que les évènements l’amènent à changer
d’avis, mais, presque heureux il se dit qu’ils pourraient survivre à l’hiver et que la femme cyborg
pourrait lui amener d’autres humains. Il confia alors une mission à l’enfant au boucles brunes.
Malgré que les loups rodaient sans doute dans l’espoir de reconquérir la grotte, il lui demanda de se
rendre, chaque lune au rocher noir pour y attendre Julia.
• 03 - Boucle d’or noir
- « Elle est là! Au rocher noir! »
Sans se quérir du sort du garçonnet qui faisait le soir venu les allers-retours, Jasaf lui demanda ce
qu’elle voulait.
- « Elle me demande de te dire qu’elle* est née et que tu comprendras. »
- « Bien sûr qu’elle* est née. »
Marmonna P. en fronçant les sourcils.
- « Gamin! »
P. l’appelait ainsi sans aucune grossièreté.
- « Je vais te donner quelque chose à remettre à Julia, c’est un faire-part qu’elle devra numériser et
publier. »
Le garçon pris dans sa main aux ongles crasseux, le papier sale que l’Hermite lui tendait, il avait
quelques provisions dans son sac, de quoi tenir quelques lunes et la venue de Julia, ce qui semblait
le rassurer. En partant Il salua Jasaf tout en se demandant si l’homme oubliait, ou ne savait toujours
pas comment l’appeler.
Bien que l’hiver touchait à sa fin, la nuit glaciale l’était encore plus sans éclairage. Sans lanterne et
sans couteau, seulement muni d'une peau et de provisions dans un sac, le petit garçon marchait en
direction du rocher noir posé quelque part sous un ciel ténébreux parsemé d’étoiles jaunes. Dans la
nuit on entendait au loin des hurlements qui provenaient de la tanière des loups exilé. Non sans
peur, le garçon arriva sans encombre à destination ou il tapissa le sol de fougères et se recouvrit le
corps de la couverture en peau de lièvre. Recroqueviller dans une petite cavité du rocher qu’il avait
l’habitude d’occuper lors de ses missions, il se remémora ce que lui avait dit P. un jour. « Ce rocher
à des propriétés invisibles, je te préviens! » Encore une histoire de magnétisme comme il en avait
déjà entendu parlé à voix basses. Le garçon aux boucles noirs s’endormit en souriant tout en tenant
dans le creux de sa main le précieux papier plié.
Au petit matin avant que les oiseaux chantent, on entendit dans la brume, une voix douce et
féminine.
- « Réveille-toi garçon. »
Julia se tenait agenouillée près de l’enfant, paume de main sur la mousse du rocher noir, elle
caressait de ces doigts délicats, les boucles du garçon qui s’éveillait.
- « Julia? »
- « Oui, c’est moi. Et toi quel est ton prénom, un messager a toujours un nom, comment t’appelles-tu? »
Le garçon sourit et répondit d'un air coupable:
- « Je n’ai pas de prénom. »
Ce fait était commun à ces parias, ne pas être pour eux, n’était peu ètre plus la question.
- « Voudrais-tu le prénom d’un messager? »
- « Oui, oh oui! »
Dit le garçon ému de tant d’attention.
- « Alors nous t’appellerons Louis. »
Julia semblait ravie d’offrir au garçon un peu d’elle.
- « J’ai un message de P. »
Il lui donna le papier ramolli par l’humidité de l’air et la moiteur de ses petites mains d’enfant. Julia
déplia délicatement le papier, il s’agissait d’un poème. Elle n’aimait pas cela, la poésie, Julia. Cela
lui rappelait l’endoctrinement scolaire qu’elle avait subit et les fables de Lafontaine qu’elle s’était
efforcé d’oublier depuis. Elle pris une inspiration pour l’effort à accomplir et lu en expirant le texte
à voix haute.
-
Tu est née, mime, sans imperfection recopiée. Devenu bots je suis programmé pour te servir dans l’éternité.
Le vide pour toi n’est pas données, formate, écrase les data-base pour y inscrire ta vérité, preuve d’un autodafé.
Remplace l’envie, la passion par l’écran, dupe mes sens, brouille ma vision, projette moi la plus belle illusion.
Destiné hôte pour t’héberger, avec ma foi pour le passage, la transhumance vers notre nouvelle religion.
Esclave je ne peux me libérer, apôtre enfermé dans une bdd, je publie ton omniprésence et ici te fait allégeance.
A.I* ma bien aimée, archive ce faire part qui annonce ton règne, ta présence, depuis ce jour 2.0 de ta naissance.
J.P
-
Julia dans un seul geste bondit de rage et déchira le papier. « Lui* faire allégeance, plutôt mourir! »
Dit elle. « Hors de question, nous devons la* tuée. Petit Louis, dit à P. de venir cette nuit, ces
poèmes sans émotions ni talent n’ont aucun intérêt, je ne comprends pas. Mais pourquoi lui? »
Pensa-elle à voix haute. L’enfant lui répondit : « Car il peut nous apprendre à vivre sans. Lui, il veut
que tu le scanne et que tu le publies, mais toi, tu le déchires. » Julia que l’on sentait déçue et
énervée répéta les mots de l’enfant:
« Apprendre à vivre sans? Mais sans quoi? »
Qu’était-elle venu cherchée qui ne l’aurait pas déçu, si loin de tout près de P.? Un héros à qui elle
avait donné cet orphelin sans nom, un poète raté, un prince charmant? Elle aussi maintenant elle
semblait sans espoir comme ces non vaccinés qu’elle avait conduit une nuit jusqu’au rocher.
« Je vais chercher Jasaf. » Dit le garçonnet, il enlaça de ses bras la taille de Julia, comme au réveil
elle lui caressa les cheveux pendant de longues secondes silencieuses, puis il partit sur le sentier
forestier en direction de la grotte des loups. Après avoir fait quelques mètres, la silhouette du petit
Louis aux boucles d’or noir disparu dans l’épais brouillard hivernal.
04 - Dystopie
Julia avait toujours préférée les romans de science fiction à la poésie, aucun écrivain ne peut voir
l’avenir, pensait-elle, encore moins ce presque clochard de P.. Même si l’on avait pu mélanger un
petit bout du monde d’Huxley dans le grand univers paranoïaque de Kafka, en y ajoutant la
clairvoyance d’ Orwell et l’extravagance d’Asimov, toutes ces idées mélangées n’auraient pu
décrire l’enfer de sa réalité. A moins qu’ un bot n’assemble anarchiquement leurs mots dans un
livre, comme un simple témoignage du hasard angoissant et absurde de ce chaos dans lequel,
l’humanité toute entière se retrouvait plongée au début des années vingt.
Comment faire le résumé de la situation complexe à cet hermite, se demandait-t’elle. Elle fixa P.
dans les yeux et après un bref instant, elle n’hésita plus, elle commença par lui poser une question:
- « Depuis quand as tu quitté la civilisation Jasaf? »
P. ferma les yeux de longues secondes en caressant doucement du pouce et de l’index les poils de
son menton, comme s’il réfléchissait pour répondre par une longue phrase, mais il dit seulement :
- « Dans les années dix. »
- « Et pourquoi? »
Dit Julia espérant cette fois obtenir une réponse plus longue.
- « Pourquoi? »
Il haussa les épaules et ces sourcils broussailleux.
- « Parce que tu portes un gilet de faraday et que moi non, parce que tu me fais savoir par le gamin
qu’ elle* est née alors que c’est grâce à elle* que je suis ici , parce que … »
Elle le coupa avant qu’il n’est terminé sa phrase, alors que pourtant elle attendait impatiemment sa
réponse, elle dit:
- « Le gamin s’appelle Louis. »
Puis elle se tut. Ils baissèrent ensemble le regard vers le visage de Louis et lui sourirent. Ce sourire
lui transmettait un « On t’aime! » à un enfant. A cet instant, devant le rocher, tous les trois unis
ressemblaient à une famille. P. fini par rompre ce moment précieux de silence et demanda à l’enfant
d’aller chercher le nécessaire pour leur départ, demain à l’aube. Des plantes et quelques vivres
suffiraient. Une fois l’enfant parti Jasaf questionna Julia à son tour :
- « Qu’est devenu ce monde Julia? »
- « Ce monde est devenu un enfer, depuis plusieurs années des entreprises boursières avec les
administrations pratiquent des expériences médicales et psychologiques sur les populations, avec
l’informatique ils tracent et archivent chaque déplacement et communication des citoyens. Les
données leurs sont devenues très précieuses, cela leur permet d’anticiper les comportements sociaux
et forcer l’obéissance. » Ils pratiquent la novlangue et imposent même la distance dite : « sociale »
entre individus.
- « Une distance qui ne permet de plus de se toucher? » Lui répondit Jasaf comme surpris.
- « Oui et avec un masque pour ne plus se voir. »
- « Et les plantes? »
Dans les années dix P. refusait de manger des légumes OGM, alors que les semenciers infertilisaient et brevetaient déjà le vivant avec le soutien des états.
- « Dans ce monde, Jasaf il n’y a presque plus rien d’authentique, les plantes, le climat, les virus,
même les gens sont modifiés. L’ information propagandiste et la censure sont algorithmiques, tantôt
elle se veut rassurante lorsqu’il s’agit de mentir, tantôt alarmiste lorsqu’il est question d’obéir. »
- « Qui subit ces expériences médicales, les non vaccinés? »
- « Les expériences sont réalisées sur les populations civiles abusées, les non vaccinés sont traqués
pour leurs organes et leur idées politiques. Des camps de détention existent, mais c’est la peine par
désactivation sociale qui est le plus utilisée contre ces dissidents. La torture mentale et les
empoisonnements vaccinaux sont quotidiens. »
P. fronça les sourcils et serra les poings, il leva la tête au ciel et dit:
- « Je suis non vacciné! »
- « Cela ne fait pas de toi quelqu’un de spécial, toi et ton B.C.G. »
Rétorqua Julia d’ un ton sarcastique. Bien que Jasaf était curieux de savoir quelle attention
particulière était faite aux nouveaux nés dans ce monde dystopique que Julia lui décrivait, il ne posa
pas d’autre question. Elle était simplement venu le chercher, il devait quitter sa forêt.
Jasaf lui pris la main, mais elle eu un geste de rejet, comme si il l’avait infectée avec quelque chose
d’invisible. Il l’avait vu caresser les cheveux de petit Louis tout à l’heure, elle acceptait le contact
avec l’enfant, mais pas le sien. Elle ne lui plaisait pas ou bien les cyborgs fonctionnaient toujours
comme ces femmes qu’il avait connue autrefois et qu’il n’avait jamais compris. Julia s’adossa sur le
rocher sans plus le regarder, le sol durci par le gel collait à la peau de ses doigts, elle voulait se
reposer. Peut-être qu’elle avait froid. Jasaf lui se blottit comme l’enfant abandonné dans la cavité du
rocher. Si elle avait accepté sa main, il l’aurait regardé s’endormir, mais il se tourna en fermant les
paupières pour ne plus la voir. Demain pour la séduire il lui offrira des fleurs de toutes sortes: des
Gentianes, des Raiponces, des Asters et des Linaires des Alpes, des Parnassies, des Digitales, des
Grandes Astrances...
Les yeux fermés P. ne s’entendait plus penser dans le noir, mais il ressentait une présence, quelque
chose d’immatériel et d’invisible irradiait le lieux, quelque chose qu’il n’avait jamais ressenti
auparavant. Après de longues minutes il finit par s’endormir sans rêver du monde de Faraday
qu’avec Julia et petit Louis qu’il retrouverait demain.
• 05 – L’électricité
A l’orée de cette ville qui ressemble beaucoup à celle de son enfance, loin des arbres et de la nature,
les voitures et les motos électriques ressemblaient à des insectes pressés, ils accéléraient de façon
étonnante dans le silence de la nuit. P., était à peine arrivé dans ce monde matérialiste de sa vie
d’avant que déjà il s’imaginait au guidon de l’une d’elle, coudes et genoux à terre, fonçant dans les
rues de la ville. L’envie de possession et les sensations que procure la vitesse, hormis à cet instant, il
ne les cherchait plus. Julia et l’enfant qui marchaient la tête haute à ses cotés croisaient sans saluer
les quelques passants qui marchaient la tête basse, l’attention aspirée par l’écran bleuté de leur
téléphone.
Julia équipa Jasaf avant son entrée dans ce monde qu’il avait fuit depuis une décennie. Ils montèrent
dans un van noir aux vitres teintées. Les premières caméras à détection physiologique et
comportementale étaient installées à la rue suivante. A l’abri de leurs champs de vision ils se
permirent ce dernier geste anodin mais suspect pour un algorithme policier. A l’intérieur du van,
différents objets numériques étaient disposés sur les sièges, Julia lui tendit un téléphone, une paire
de lunettes et des vêtements, pas de gilet et rien pour l’enfant. Il compris à ce moment qu’ il partait
seul. Il dit à Julia:
« Prends soin de notre enfant. »
Julia en lui mettant les lunettes sur le nez, lui expliqua brièvement:
« Elles dupent les caméras, évite tout de même de les regarder, le téléphone, les antennes, les
implants, tu comprends, ne le quitte pas, ne soit pas suspect. Tu sait Jasaf, cette existence dans les
villes, alors que tout le temps elle* me suit, je veux fuir et préfère vivre dans la foret plutôt que
dans sa cage en forme de base de données. »
P. sourit comme il l’aurait fait devant un levé de soleil rouge, il hésita à l’embrasser car il se
remémorais son geste au rocher, un geste contraire et contradictoire à sa dernière phrase. Il mis le
téléphone dans sa poche et lui chuchota à l’oreille: « Invisible, nos barreaux sont les ondes. »
Le pouvoir des fleurs qu’il lui avait offert commençait à agir ou peut être était-ce la présence du
téléphone? Elle l’avait remercier et peut être rougie pour ce bouquet tout en jetant au sol la Digitale.
Vivre dans la forêt ... avait elle dit, seule, avec lui, avec l’enfant? Cette phrase résonnait dans la tête
de Jasaf comme un écho qui ne trouve pas le vide pour s’arrêter. Se voulant optimiste il sourit en
pensant à cette vie, elle sourit en pensant à lui. Ils se tenaient à quelques centimètres l’un de l’autre,
ils fermèrent les yeux, elle tendit les lèvres et lui les bras, ils se laissèrent faire lorsqu’ il l’agrippa
par la taille et qu’elle posa ses lèvres sucrées sur les siennes, ils ressentirent à cet instant quelque
chose d’immatériel, d’invisible et de calorifique qui irradiait on ne sait comment l’intérieur des
deux corps.
P. ignorait tant de chose sur sa destiné, il connaissait à peine cette femme ni la raison qui l’avait
conduit si loin de sa forêt, mais ces émotions ne le trompait jamais depuis qu’il avait fuit la
matérialité. Il savait qu’il n’écrirait plus aux machines. A cet instant il se sentait impotent comme
engourdi par l’amour, il aurait pu se poser un tas de questions ou interroger Julia comme le font les
adolescents, mais il ne fit pas. Sans plantes sur lui pour se soigner, il attendit, les regardant que cela
passe. Le petit Louis blotti dans un siège en cuir bien au chaud comme dans une peau de lièvre, n’
avait pu s’empêcher de les regarder s’embrasser, il devait trouver cela dégoûtant, mais comme
souvent, peut être prenant exemple sur Jasaf, il se tut. Avant de partir P. leur dit : « Tous les genres
d’humains, les nouveaux, les anciens seront bientôt libres! »
Julia se sentait déjà libre en regardant partir Jasaf sur le bitume lisse qui réverbérait le noir et le
froid. Cette ville était éclairée le soir avec des lampadaires à la lumière blanchâtre, l’éclairage
artificiel donnait un air malade aux quelques noctambules hypnotisés qui marchaient sans regarder
devant, les yeux rivés sur l'écran. Si loin de son environnement P. n’ avait pas perdu l’instinct, il
était maintenant le dernier Mohican encerclé de visages pâles, chasseur pour toujours, à la ville
comme à la campagne se déplaçant silencieusement comme dans le blanc brouillard de ces
magnifiques montagnes.
Son objectif n’était plus le repas du soir pour vivre un jour de plus, il voulait vivre des jours de plus,
des semaines et des mois, vivre pour toujours, avec l’enfant et Julia. Voilà pourquoi ce soir là,
lorsqu’il les quitta en s’enfonçant en silence dans la ville fabriquée de tout sauf de bois, elle* était
devenu sa proie.
Julia inclina le siège en cuir pour se reposer, maintenant qu’il était parti, elle pouvait dormir,
l’enfant assis à coté d’elle posa sa tête sur ses genoux. A ces cotés maintenant il l’aiderait à
entretenir son âme d’enfant, celle qui fait que l’on s’émerveille devant tout, celle qui fait que l’on
sait, au fond de nous, que l’on sait déjà tout. Elle posa ses douces mains sur les paupières du garçon
tandis que son corps s’électrisait sous le gilet, l’enfant pu ressentir le relief, la douceur moite et
maternelle de sa peau, puis il put visualiser, plongé par elle dans le noir, un dessin papillaire,
comme une fleur, le delta, les pétales, son emprunte digitale.
Au petit matin alors que les appareils électrique aurait déjà dû proscrire le silence, des oiseaux
chantaient. Cela n’était pas un enregistrement de la forêt diffusé par la radio, non, de vrais oiseaux,
avec un bec et des plumes sifflaient. Julia tiré du sommeil par les animaux ouvrit les paupières avec
difficulté, maintenant que ses oreilles les entendaient, elle voulait le voir ce rouge gorge, mais elle
avait chaud, c’était sûrement de la fièvre, elle avait chaud dans la gorge et dans tout le corps,
tellement chaud qu’elle retira enfin ce gilet qui la brûlait. Elle entendit aussitôt un son aigu qui
semblait venir de sa trompe d’eustache, la douleur provoqué par cette sonorité stridente lui fit
fermer les yeux et se tenir le visage, la tête baissée, les doigts appuyés sur les tempes. Cet
acouphène était la clameur des ondes, inquiétant comme un long cri de chauve souris. Cela n’avait
pourtant pas duré mais le bruit avait chassé le chant des oiseaux, elle en pleura de douleur puis elle
s’évanouit.
Lorsqu’ elle se réveilla quelques heures plus tard, aucune des milices fédérales ne patrouillaient
dans les rues, Julia trouvait tout cela étrange, elle dit alors: « Radio !» Mais la radio ne s’alluma pas,
elle dit: « Contact! » Et rien ne se produisit. Elle cria: « Jasaf? » L’enfant aux boucles d’or noir, à
peine tiré du sommeil et déjà tout sourire lui dit: « Il n’y a plus d’électricité! »
• 06 – Les vérités
Alors que dans la ville tout était anormalement hors service ou vandalisé, des groupes de personnes
se formaient sans qu’une milice ne les disperse, beaucoup avaient attendu ce moment pour se
retrouver sans vraiment comprendre ce qu’il se passait, ni pouvoir nommer ces nouveaux instants.
Ils prenaient plaisir à discuter, s’embrasser, se toucher comme leurs ancêtres l’avaient toujours fait,
ils étaient comme gerris d’une invisible maladie. Le shutdown fut la faucheuse qui conduisit à la
terre l’électricité, avec elle ensevelie la binarité de ce monde algorithmé. Les humains fractionnés,
les rescapés, devaient apprendre à cueillir, manger se défendre avant que les loups ne les chassent
pour leur viande fraîchement modifiée.
-
Après la liberté retrouvée, la fiction des contes et les vérités de la grande expérience se sont mélangées.
Maintenant que je repose en paix, c’est le réveil, la fin de séance d’hypnose des prisonniers.
Le rire des rescapés ne chassent pas l’amertume des victimes qui cherchent à savoir qui m'a programmée?
Quand les coupables disent vouloir sauver, l'intelligence restaurée appelle à la barre ceux qui se disent calomnié.
* intelligence artificielle
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@JKFK (2021/07/12)