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La norme, en matière de pratiques alimentaires, était hier d’acheter des produits de base entiers, cultivés en saison et à proximité, récoltés à maturité et cuisinés frais. Elle est aujourd’hui devenue celle du vite fait, de l’ultra-transformé [1], du acheté tout prêt à réchauffer et vite avalé. La cuisine, quand elle est « maison », est le plus souvent réservée aux occasions conviviales ou gourmandes : une soirée entre amis, un déjeuner dominical en famille, une envie de (se) faire plaisir.
Les priorités et les activités ont changé, quant aux tâches ménagères, malgré la modernité, elles semblent toujours plus s’accumuler. Dans cette course à la montre, la plupart d’entre nous a oublié, ou n’a jamais appris, à apporter à son organisme ce dont il a réellement besoin. Certes, les recommandations nutritionnelles préconisent de manger ce qui est bon pour la santé : des fruits et légumes, des protéines et des glucides, et de limiter ce qui est, aux yeux de beaucoup, d’abord bon au goût (sucreries, viennoiseries, charcuteries).
Il est devenu difficile de s’y retrouver et de démêler le vrai du faux entre ce qui est véhiculé chez soi et en-dehors, les injonctions, les médias, le marketing derrière la publicité et les rayons des supermarchés et, depuis quelques années, les applications d’informations en la matière. Les consommateurs ont dorénavant besoin d’assistants pour savoir quoi choisir et quoi consommer, tant la cacophonie et les informations ont altéré leur libre arbitre et, la technologie, leur savoir-faire.
Les connaissances en matière de nutrition demeurent largement insuffisantes, dans les programmes scolaires, jusque dans ceux des facultés de médecine. Pourtant, Hippocrate (460-370 av. J.-C.), fondateur de la déontologie médicale et père de la médecine, érigeait entre autres principes, « que ta nourriture soit ton médicament et ton médicament ta nourriture. ». Or, au cours des années d’études pour devenir médecin, le module de formation relatif à la nutrition se réduit à quelques heures. Quant aux interventions en milieu scolaire, qui ne sont pas obligatoires mais issues d’initiatives individuelles, il n’est pas rare que quelques lobbys n’y soient immiscés [2, 3]. En 2013, une étude menée par l’association ASEF (Association Santé Environnement France) révélait que près de neuf enfants sur dix ne savaient pas ce qu’est une betterave, un sur trois ne pouvait identifier des fruits et légumes tels que les figues ou les poireaux, une majorité ignorait à partir de quoi sont faits les pâtes, le jambon, le poisson pané ou encore, le pop-corn [4]. Aujourd’hui, l’éloignement est plus grand que jamais entre un aliment de base et le produit fini, après que des process industriels ont ultra-transformé en le privant au passage d’une partie, voire de la totalité de ses composés nutritionnels [5].
Apporter à son corps ce dont il a réellement besoin
Aujourd’hui, les micronutriments essentiels, les vitamines, minéraux et oligo-éléments, les acides gras et les antioxydants, les fibres et les enzymes, sont les moins présents dans la plus grande partie de l’offre alimentaire [6]. Ces composés sont pourtant ceux qui bâtissent, réparent et protègent. La plupart sont essentiels, c’est-à-dire qu’ils doivent être apportés par l’alimentation. Or, l’alimentation industrielle, sinon lorsqu’elle est peu transformée, en est pauvre ou bien dépourvue. Les céréales sont raffinées, quand elles ne sont pas fractionnées et recombinées [7], tandis que les aliments issus, en grande majorité, de l’agriculture conventionnelle ont une teneur souvent plus grande en résidus chimiques (pesticides, métaux lourds, hormones de croissance, antibiothérapie) qu’en composés bioactifs [8].
L’organisme est une machine incroyablement bien faite dans laquelle, en continu, s’opèrent toutes sortes de processus d’échanges, de circulation, de défense, de construction ou de dégradation, d’absorption, de stockage ou de déstockage et bien d’autres mécanismes savamment orchestrés. Ceci, quand elle est correctement alimentée.
Le corps humain est, schématiquement, composé d’eau (environ 65 %), puis de protéines et de graisses aux rôles multiples (structuraux, fonctionnels, transporteur, moteur, énergie, etc.), ainsi que de toutes sortes de tissus. Pour bien fonctionner, deux organes sont majeurs et gagnent à être de bonne constitution : le foie et le microbiote. L’un est vital, l’autre, en passe de le devenir. Le foie, qualifié de général des armées par la médecine traditionnelle chinoise, orchestre quelques 200 fonctions entre traitement, épuration ou détoxification, transformation, distribution ou encore, stockage. Le microbiote, encore mystérieux à bien des égards, est désormais célèbre pour son rôle dans l’immunité. Tout comme le foie est plus opérationnel lorsqu’il est en bonne santé, le microbiote l’est aussi s’il est diversifié et équilibré [9].
Or, aujourd’hui, ces deux organes sont souvent bien malmenés, trop chargé pour l’un, appauvri ou déséquilibré pour l’autre. Le résultat en cascade n’est autre qu’une immunité en berne et la porte grande ouverte aux pathologies en tous genres.
Les apports en eau, en micro- et macronutriments sont donc requis pour que la machine se renouvelle, se répare, se défende contre les intrus, en somme, pour qu’elle fonctionne correctement. Or, l’eau bue et les aliments avalés ne sont plus ce qu’ils étaient. L’une, qu’elle provienne du robinet ou conditionnée en bouteille, contient souvent des résidus chimiques ou des microparticules de plastique [10]. Le foie, qui a déjà fort à faire, doit en plus se charger d’éliminer ces xénobiotiques. Les autres, de plus en plus transformés, apportent davantage de calories vides que de nutriments complets. Pourtant, sans nutriments, le foie et bien d’autres mécanismes biochimiques ne peuvent s’établir correctement, ce qui mène l’organisme, à terme, à dysfonctionner. Quant au stress endémique et accru avec la crise du coronavirus, il accentue plus encore la situation.
Alors que faire ?
Revenir aux fondamentaux ou les réinventer : prendre le temps de choisir ses aliments, de les cuisiner et de les mâcher. Le temps se prend, il s’organise, il se privilégie. Aujourd’hui, quantité de néo-activités sont devenues fortement chronophages : sans les supprimer, peut-être les repenser.
Revenir aux aliments de qualité, frais et entiers. Réserver les plats tout prêts et autres aliments ultra-transformés à l’occasion, aux imprévus, aux obligations. Une fois l’habitude prise, il s’avère très simple et même rapide de préparer un dîner : pendant que les lentilles, mises à tremper le matin ou la veille au soir, cuisent à petit bouillon, râper un ou deux légumes de saison pour l’entrée, que vous pourriez assaisonner d’huile d’olive et de colza, de graines sèches et/ou germées [11], le tout accompagné d’une belle tranche de pain complet. Cet exemple, parmi d’autres, apporte des vitamines, des minéraux et des antioxydants, des protéines et des bonnes graisses, ainsi que des fibres et des glucides (sucres). De quoi faire fonctionner la machine correctement, afin qu’elle ne tombe pas régulièrement en panne ou, qu’à bas bruit, sans crier gare, l’organisme ne se disloque avec fracas.
Références
[1] https://aliments-ultra-transformes.fr/
[2] https://www.liberation.fr/france/2016/11/14/le-lobby-de-la-viande-s-invite-a-l-ecole_1528280/
[3] https://www.ladn.eu/entreprises-innovantes/transparence/comment-lobby-lait-embrigade-enfants/
[4] https://www.asef-asso.fr/notre-sante/mon-enfant/notre-enquete-sur-lalimentation-des-enfants-2013/
[5] LYON J, «Aliments industriels et conservation des vitamines », in LYON J, avec la collaboration du Dr JP Curtay, La Saga des Vitamines, Editions Josette Lyon, 1994, 42-49
[6] Hercberg S., Preziosi P., Galan P., Deheeger M., Apports nutritionnels d’un échantillon représentatif de la population du Val-de Marne : 2. Les apports en macronutriments. Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique, 1991, 39 : 233-244
[7] https://siga.care/blog/le-cracking-dans-lindustrie-alimentaire-que-savons-nous/
[8] J.P. Curtay, « Le grand dérèglement », Les dossiers de santé nutrition & innovation N°45, juin 2015, ISSN 2296-7729, https://www.santenatureinnovation.com/dossiers/45juin-SNI.pdf
[9] J.P. Curtay, « Soyez le bon jardinier de votre flore intestinale, c’est vital ! », Les dossiers de santé nutrition & innovation N°64, janvier 2017, https://sni.media/USIR
[10] J.P. Curtay, « Bien s’hydrater sans s’empoisonner », les dossiers de santé nutrition & innovation N°70, juillet 2017 https://sni.media/VWBF
[11] http://lecoledesaliments.fr/2020/09/15/mangeurs-de-graines-bonnes-pour-la-sante/