Primum non nocere
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » (1)
Préambule
Dans ses préconisations sur le port du masque chez les enfants datées du 21 août 2020, l’OMS demande l’application d’une « approche fondée sur le risque » incluant « les incidences potentielles du port du masque sur l’apprentissage et le développement psychosocial » (2).
La Société Française de Pédiatrie, quant à elle, insiste sur l’importance de l’hygiène des mains, mais ne propose pas le port du masque chez l’enfant comme mesure obligatoire. Elle va plus loin dans ses dernières préconisations, elle parle du « consensus sur le fait que les enfants, et en particulier ceux de moins de 10 ans, ne contribuent pas significativement à la transmission de COVID19 » (3)
Pourtant, le port du masque est devenu obligatoire pour les enfants de plus de 6 ans dans le cadre scolaire depuis le 2 novembre 2020.
Au sein de nos cabinets, dans notre pratique, parmi les témoignages que nous récoltons depuis cette date, nous constatons que le port du masque par les enfants a déjà de nombreuses répercussions. Au vu de notre expertise sur le développement de l’enfant et particulièrement sur de développement de son langage, il est évident que d’autres effets sont à venir, inscrits dans les acquis des enfants soumis à cette mesure alors qu’ils sont dans une « fenêtre d’acquisition » qui s’ouvre pour un temps et se referme par la suite. Ces conséquences, une fois visibles, seront nécessairement irrémédiables.
Alarmés par cette situation, nous proposons ici notre regard d’orthophonistes sur le port du masque par l’enfant en milieu scolaire. Il représente un risque majeur pour son développement alors que le bénéfice est loin de faire consensus.
Les effets sur la santé
La littérature médicale relève déjà maints effets délétères du port du masque, et ceci à différents niveaux parmi lesquels nous pouvons citer sans prétendre à aucune exhaustivité : des problèmes dermatologiques, respiratoires, auto-infections, troubles du sommeil, asthénies. Les enfants qui portent des lunettes sont régulièrement gênés par la buée sur les verres, et se voient proposer comme seule solution de les enlever.
Notons également le message d’alerte lancé par la neurologue Dr Gries-Brisson sur les dangers d’un manque d’oxygénation en général et sur un cerveau en développement en particulier (4).
Au niveau psychologique, outre les effets déjà constatés de type dépression, phobie scolaire, anhédonie, le masque apparait comme la concrétisation d’un Alter potentiellement dangereux. Il est la marque, pour l’enfant, qu’il représente un danger pour autrui et qu’il doit être puni pour cela. Ce contexte, favorable à la construction d’une personnalité anxieuse, induit une limitation des interactions sociales (5).
La communication
Nous connaissons grâce aux travaux de Mehrabian (6 et 7) l’importance capitale des données para-verbales et non verbales dans la communication. Lorsque nous interprétons un message, nous nous reposons à 7% sur le contenu verbal (les mots qui composent le message), le 93% restant relevant à 38% du para-verbal (données relatives à la voix et à ses intonations) et à 55% du non verbal (langage corporel, mimiques).
Nous pouvons également relever l’étude de Roberson et all (8) : nous y constatons, d’une part, que la reconnaissance de l’expression faciale de personnes masquées n’est qu’à 70% correcte chez les adultes. D’autre part, il apparaît que la capacité d’interprétation d’une émotion de personnes masquées chute considérablement entre 7-8 ans et 9-10 ans, n’excédant alors pas 60% de réponses correctes. Ainsi, une communication qui offre une expression limitée aux yeux représente un risque important de mésinterprétation, de fausses informations, tout du moins un flou dans la compréhension correcte du message.
Nous savons depuis Piaget que l’enfant est amené, au travers de son expérience du monde, à développer des structures logiques (conservation / catégorisation / combinatoire / sériation / inclusion), selon différents stades. Or, à 6 ans, l’enfant n’a pas encore atteint le stade formel. Qu’est-ce qui existe derrière le masque, pour l’enfant qui le voit porté, que ce soit par un adulte ou par un pair ?
S’il est ainsi clairement établi que les supports d’une communication saine sont gravement perturbés par le port du masque, la question se pose de manière encore plus pointue en pédopsychiatrie, dans le contact que nous pouvons avoir avec des enfants présentant un trouble du spectre autistique. Les yeux sont parfois vécus comme intrusifs et le masque porté par autrui accentue cela. L’enfant masqué peut voir ses éprouvés sensoriels exacerbés, provoquant des réactions tonico-émotionnelles (tics, grimaces) voire des extériorisations violentes, ou des replis sur soi qui le sont tout autant.
Voix et sphère bucco-linguo-faciale
Le masque atténue entre 5 et 20 db, mais plus encore, il déforme le spectre de la voix (9). Pour compenser ce manque d’intelligibilité, le locuteur croit bien faire en forçant sur sa voix. Il entre ainsi dans le « cercle vicieux du forçage vocal » (10) qui ne peut qu’inquiéter tout professionnel de la voix en raison des risques qu’il engendre (dysphonies, nodules, …)
Au niveau de la sphère bucco-linguo-faciale, nous relevons l’importance primordiale du souffle, de la respiration, de l’expérience des praxies pour un développement optimal de cette zone chez les enfants. Ceux qui présentent encore des manifestations de para fonctions buccales sucent ou tètent leur masque, loin de toutes considérations hygiéniques. Notons que les contraindre par le rappel de la consigne de ne pas téter, les conduisent à un vécu particulièrement difficile de l’école, puisqu’il s’agit d’un besoin dont le contrôle relève de fonctions réflexes difficilement maîtrisables.
Par ailleurs, la majorité des personnes qui portent le masque, qu’elles soient enfants ou adultes, a tendance à instaurer une respiration buccale pour compenser le manque d’apport en oxygène. Ainsi, le masque induit chez l’enfant une stagnation au stade buccal, voire une régression d’un stade nasal installé à un stade buccal.
Nous nous alertons ainsi sur une augmentation à prévoir des problématiques liées à ce phénomène (problèmes orthodontiques, cervicalgies, tensions dans les articulations temporaux-mandibulaires, bruxisme et acouphènes notamment).
Dans notre pratique, nous relevons l’émergence très récente de demandes concernant des troubles articulatoires chez des enfants qui avaient jusque-là une prononciation exacte. Ces troubles touchent les consonnes fricatives (s-z / ch-j) et sont analysables en termes de recul lingual. Il apparaît ainsi que certains enfants pourraient mettre leurs articulateurs en retrait, comme ils se mettent également en retrait dans toute ou partie de leur vie.
Langage oral
Pour préserver sa voix, le locuteur peut adopter une autre stratégie que le forçage vocal : il peut tout simplement diminuer le nombre de mots qu’il produit, il va à l’essentiel. L’enfant est confronté à moins de langage, et à un langage moins élaboré, de moindre qualité. En tant que locuteur, il produit moins de mots, des phrases plus courtes et diminue tout autant les expériences linguistiques qui sont pourtant le socle de ses apprentissages.
Il y a donc une perte sensible à tous les niveaux, et surtout en ce qui concerne le langage oral : le port du masque compromet la fluidité du bain de langage par une exposition au langage qui est réduit au niveau quantitatif et qualitatif.
Les conséquences du port du masque se font sentir premièrement au niveau phonologique : les sons déformés par le masque, l’enfant n’a plus de feed-back de qualité (visuel et auditif) pour son autocorrection. En ce qui concerne le niveau lexical, nous assistons à des difficultés d’acquisition de nouveaux mots en raison de la modification du spectre de la parole induite par le masque : les nouveaux mots ont une forme phonologique déformée, floue, fluctuante. Ceci est encore plus prégnant auprès de la population allophone que nous rencontrons.
Ensuite, au niveau morpho-syntaxique, nous savons que les morphèmes sont de toutes petites unités qui sont déjà en temps normal difficiles à percevoir. Elles le sont d’autant plus avec une parole masquée. Ces unités prennent par ailleurs tout leur sens dans la prosodie de la parole (mélodie, rythmes, pauses) qui est également fortement altérée par le masque.
Le port du masque renforce les difficultés de ceux qui en ont déjà, comme les enfants qui présentent un trouble spécifique du langage oral ou les enfants sourds qui se voient ainsi privés de compensations primordiales dans le maintien de leurs interactions. Nous voyons aussi qu’il est susceptible d’engendrer une limitation de l’acquisition du langage oral chez tous les enfants.
Langage écrit
Nous observons que l’impact du port du masque est important au niveau du langage oral. Or, ce langage oral est non seulement prédictif de la facilité d’entrée dans le langage écrit mais il en est également le socle, la base.
En ce qui concerne l’apprentissage même de la lecture et de l’écriture, nous relevons que le port du masque est une barrière à la mise en place de la correspondance phonème – graphème. Il entraîne ainsi des difficultés accrues pour les enfants à risques, et surtout par ceux qui présentant un trouble phonologique.
Pour tous les enfants, il empêche les enseignants de valider la justesse de leur lecture, puisqu’un doute persiste sur les confusions fréquentes entre certains sons. Nous avons ainsi plusieurs témoignages de parents qui ont reçu un mot de leur professeur des écoles leur demandant de vérifier par eux-mêmes si l’enfant confond les consonnes occlusives (p-b, t-d, k-g), elle-même étant en incapacité de le faire.
En effet les quelques informations acoustiques permettant de déceler la différence entre /p/ et /b/ par exemple deviennent de plus en plus ténues. Ces traits distinctifs qui doivent être nécessairement clairs pour l’apprentissage de l’écriture et de la lecture sont filtrés.
Cognition
Toutes les compétences cognitives sont impactées par le port du masque. Outre les compétences langagières déjà développées, citons encore sans soucis d’exhaustivité :
Au niveau des fonctions exécutives : l’attention est moins disponible pour les apprentissages parce qu’elle est monopolisée par la gestion du masque et de la respiration. Ceci nécessite un autocontrôle coûteux et induit une surcharge cognitive inutile, dans un cerveau qui n’est pas conçu pour effectuer en même temps deux choses qui sollicitent l’attention (11).
En ce qui concerne les compétences sociales, le port du masque par les enfants entraîne des difficultés à mettre en place des interactions avec les pairs et avec les adultes à un moment crucial du développement de cette compétence. L’école est LE lieu d’émancipation des enfants, désormais les contacts humains y sont souvent interdits, au mieux fortement limités.
Les compétences mnésiques sont également impactées : l’adaptation à la nouvelle situation a un coût, l’énergie consacrée à cela n’est pas disponible pour les apprentissages. De plus, les acquisitions se font actuellement dans un climat anxiogène et contraignant, ce qui ne peut qu’alarmer le clinicien sensible à l’intrication entre émotions, mémorisation et cognition (12)
Conclusion
Le masque en tant que dispositif médical devrait être soumis à la règle du bénéfice – risque inhérent à toute problématique médicale.
En tant qu’orthophonistes, nous nous alarmons sur les signes cliniques que nous constatons actuellement dans notre pratique et sur les risques majeurs que nous redoutons pour l’avenir compte-tenu de notre connaissance du développement de l’enfant.
Les bénéfices n’étant pas clairement établis, comme d’autres professionnels de santé et l’enfance (par exemple 13 – 17), nous pensons qu’il est urgent de laisser les enfants respirer, jouer, interagir et parler librement, sans masque. Il est temps de cesser ce cadre délétère autour de l’enfant, en totale opposition avec ses droits les plus fondamentaux.
Références
- https://www.unicef.fr/sites/default/files/convention-des-droits-de-lenfant.pdf
- https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/335945/WHO-2019-nCoV-IPC_Masks-Children-2020.1-fre.pdf?sequence=1&isAllowed=y
- https://www.sfpediatrie.com/actualites/rentree-scolaire-covid19-propositions-actualisees-sfp
- https://fr.sott.net/article/36152-Une-neurologue-allemande-met-en-garde-contre-le-port-du-masque-La-privation-d-oxygene-provoque-des-dommages-neurologiques-irreversibles
- https://www.marianne.net/agora/humeurs/masques-a-lecole-primaire-les-enfants-sont-baignes-dans-un-climat-anxiogene-general
- https://psycnet.apa.org/record/1967-08861-001
- https://psycnet.apa.org/record/1967-10403-001
- https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0010027712001412?dgcid=api_sd_search-api-endpoint
- https://www.mgen.fr/fileadmin/medias/5_Le_groupe_MGEN/Prevention/sante_au_travail/MGEN_Livret_VoixMasque_Novembre2020.pdf
- https://www.phoniatrie-laryngologie.fr/2009/10/01/cercle-vicieux-du-forcage-vocal-et-trimodalite-du-comportement-phonatoire/
11 https://www.youtube.com/watch?v=hNERzZDZT68&ab_channel=TEDxTalks
12 https://emotischool.com/Cuisinier,%20Tornare%20&%20Pons%20(2015)%20ANAE.pdf