14 janvier 2021
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Depuis le 1er septembre 2020, je suis en infraction 20h par semaine. C’est le nombre d’heure que j’assure au collège, c’est le nombre d’heure durant lesquelles, en toute conscience, j’enlève mon masque.
Rien ne sert de rappeler la violence d’une mesure sanitaire auprès d’un public d’enfants très peu contaminé et très peu contaminant, mesure sanitaire dont l’efficacité pour limiter la propagation d’une épidémie dont l’importance est très largement exagérée et pour le moins contestable. Rien ne sert d’insister sur les délires liberticides d’une société malade de sa propre peur et qui patauge dans les mensonges, les incohérences et la surenchère sécuritaire. Tout cela est désormais largement documenté.
Reste des enfants face à des adultes.
Masque contre masque.
Il y a les grandes idées, les doctrines et les protocoles. Il y a la loi - il y a des enfants. Quand j’ai en face de moi une classe d’individus masqués, deux possibilités : soit j’accepte de ne pas savoir si mes élèves comprennent, s’ils sont en souffrance ou s’ils sont simplement heureux d’être en cours, soit je n’accepte pas et je considère que la rencontre pédagogique ne peut se faire que s’il y a une réelle rencontre entre deux personnes. Je ne mets donc pas le masque depuis la rentrée, désobéissance civile indispensable pour obéir à ce pour quoi je suis prof.
Devant mon visage ouvert, beaucoup d’élèves gardent ce bout de tissu sur le visage malgré tout. Ils sont soumis en permanence à un flux d’informations à sens unique : le masque protège, vous protège et nous protège, l’effort doit être solidaire et chacun doit montrer sa soumission à cet ordre sanitaire. Ils le gardent mais, à ma grande surprise, ne me font que très peu de remarques.
Enseignant dans un collège réputé difficile, nombreux sont les enfants qui n’ont aucune difficulté à parler librement aux enseignants. Ils ne me disent rien sur mon visage découvert et sur ma tolérance totale sur le non-port du masque. Afin d’éviter d’en faire un sujet de discussion qui pourrait déborder de la classe, je ne leur demande pas ce qu’ils en pensent mais je crois deviner qu’ils sont en grande majorité simplement contents de voir un sourire. Dans chacune des classes, un certain nombre l’enlève en entrant et expriment leur soulagement en respirant largement. A tous je m’efforce d’être le plus souriant possible et les sourires que j’ai en retour sont, en ces temps moroses, d’un grand réconfort.
Je vis donc comme cela depuis quelques mois, à jongler avec la confiance des élèves pour qu’ils ne disent rien de ce drôle de prof démasqué, avec les collègues auprès de qui je m’efforce de faire semblant dans les couloirs et avec une tension interne qui grandit avec le temps et la normalisation de cet objet insupportable.
Il est confortable d’obéir, de se plier, de mettre ses convictions de côté et d’accepter l’absurdité. Il est infiniment plus fatigant d’aller à contre-courant et de lutter à chaque heure pour préserver des espaces de respiration.
Comment lutter contre cette maltraitance qu’on accepte collectivement et qu’on inflige à nos enfants ? J’ai choisi une résistance quotidienne et un peu dérisoire, peut-être assez risquée mais qui me paraît indispensable pour ceux dont j’ai la charge quelques heures par semaine. Comment faire autrement ? La question de masque est un tabou parfaitement respecté en salle des profs, à peine est-il permis de se plaindre à la marge de maux de tête ou de gorges asséchées. En parler à l’équipe de direction du collège ? Impossible, bien sûr, et que je soupçonne des convergences avec un principal-adjoint ne change rien : ces gens-là sont recrutés pour obéir. Manifester, se regrouper collectivement ? Avec plaisir, mais les syndicats sont les premiers à avoir réclamé des masques gratuits dès le mois de mai, il reste des collectifs qui commencent à peine à se structurer et qui, pour l’instant, restent trop confidentiels.
J’appelle donc tous mes collègues à la triche et à la dissimulation, au travail de l’ombre et au travail de sape. Osons des gestes libres, ayons l’audace de la bouteille d’eau toujours à la main et des larges respirations aux fenêtres. Faisons pourrir ces mesures absurdes en jouant sur tous les interstices et en laissant les élèves en-dehors de tout ça. Et sourions, sourions jusqu’à en avoir des crampes aux mâchoires, que cela fasse sourire et même rire les enfants qui ne demandent que ça. Les écoles se dessèchent de nos délires, acceptons un risque infime et laissons vivre ce qui fait le cœur de notre travail : la rencontre véritable entre un prof et des élèves.
Bas les masques !
Saramago Eveleigh (à défaut de visage, masquer le nom est malheureusement une prudence nécessaire)