Témoignage de :

Chasse aux sorcières dans les lycées

18 mars 2021

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Je suis enseignante d'histoire géographie en lycée depuis 2014. J'ai toujours pratiqué mon métier avec passion et joie de vivre, mais depuis la rentrée de septembre, je vis une descente aux enfers.

En juin dernier, après le premier confinement, nous avons repris certains cours et j'ai fait partie des professeurs sélectionnés pour les jurys et les épreuves orales de rattrapage du baccalauréat. Le masque était supposément obligatoire, mais personne ne le portait (2 profs sur la trentaine d'enseignants convoqués, aucun des candidats). L'ambiance était assez détendue, malgré les deux mois de confinement qui venaient de s'achever, on ne sentait pas encore de pression sur le fait de se masquer ou pas.

A la rentrée de septembre, tout a changé. Lors de la réunion de rentrée, j'étais la seule enseignante de la salle à ne pas porter le masque. Ceci a suscité la réaction d'une collègue qui a interrompu la réunion pour demander au proviseur de faire appliquer le port du masque par TOUS les collègues (j'étais évidemment la personne visée). Par la suite, j'ai été convoquée par l'administration (dont j'ai appris entre temps qu'elle m'avait dénoncée au rectorat, à l'inspecteur d'académie, et tutti quanti...). J'ai expliqué que cette mesure m'inquiétait pour la santé des adolescents, car l'OMS relève un certain nombre de risques liés au port prolongé du masque, et que ces risques ne me semblent pas compatibles avec la poursuite d'une scolarité saine et épanouissante. Le médecin du rectorat aurait répondu que ce n'était pas vrai, qu'il n'y avait pas d'effets secondaires... Effarement de ma part. A tous les arguments scientifiques et légaux que j'ai pu développer, on n'a trouvé qu'une chose à me répondre : c'est comme ça, c'est la LOI, vous n'avez pas le choix, vous devez obéir. Autoritarisme pur et simple.

Alors que j'ai passé la toute première semaine de cours sans masque, les convocations et mails de menaces récurrents m'ont vite dissuadée de continuer à « faire ma rebelle », et je me suis mise à porter le masque, juste sous le nez, pour pouvoir à peu près respirer.

J'ai continué à recevoir des mails de menaces de ma hiérarchie, car mon port de masque n'était pas « réglementaire ». Je n'en ai pas vraiment tenu compte car je sentais bien que le port du masque jusque sous les yeux me fatigue, et que j'ai besoin de garder un minimum d'énergie, ne serait-ce que pour passer des soirées à peu près normales avec ma fille de trois ans.

A la fin des vacances de février, ma hiérarchie m'a fait suivre une lettre d'insultes écrite par des parents, m'accusant d'être « complotiste et malsaine », parce que j'avais fait une démonstration aux élèves de la classe sur le fait qu'en 2020, la mortalité générale toutes causes confondues n'était pas exceptionnellement élevée par rapport aux années précédentes, surtout une fois qu'on la rapporte au vieillissement de la population. Je précise que j'ai dû donner ces informations car lors d'un cours sur la croissance démographique, les élèves étaient en majorité convaincus que la population mondiale était en train de « bien descendre » du fait de l'épidémie (!) Ces deux parents étaient aussi particulièrement furieux du fait que je porte le masque sous le nez en classe (alors que leur enfant s'assoit au dernier rang, à une distance plus que réglementaire).
Mes supérieurs hiérarchiques ont transmis ce dossier au rectorat pour qu'ils décident d'éventuelles sanctions à mon égard, sans prendre la peine de me demander ma version des faits.

En tant que professeur d'histoire, je vois mon pays s'enfoncer chaque jour un peu plus dans l'obscurantisme. Les élèves qui essaient de respirer sont brisés (un de mes élèves de Seconde a écopé d'une journée d'exclusion pour port « non réglementaire » du masque lui aussi, alors que d'autres insultent littéralement leurs profs et sont sanctionnés moins sévèrement...). L'administration a clairement voulu faire un exemple. Les enseignants qui font de la résistance passive sont eux aussi brisés, considérés comme des délinquants ou des cas psychiatriques. Une collègue d'histoire a été convoquée par le psychiatre du rectorat pour avoir dévié un petit peu de la pensée unique, et j'ai eu vent d'autres cas de « psychiatrisation » de professeurs récalcitrants dans les lycées voisins.

La violence morale qui s'exerce sur les élèves et sur les enseignants est terrifiante. Le niveau de répression atteint dans les établissements scolaires me semble encore supérieur à celui que nous vivons dans le reste de pays, car certains adolescents n'ont pas de recul sur la situation et pratiquent une délation systématique de leurs camarades et de leurs enseignants.

Le simple fait de se plaindre du masque semble devenu synonyme de « complotisme » et d'un comportement déviant, à la limite de la sociopathie. Nous nous voyons reprocher le fait, en tant qu'enseignants, de contester ne serait-ce qu'une fois le port du masque, même si c'est pendant une récréation, même avec deux ou trois élèves, qui viennent nous voir justement pour vider leur sac. Tout est aussitôt répété, amplifié, déformé, et les rares enseignants qui voudraient venir en aide aux élèves sont empêchés de le faire.

Aujourd'hui je suis en arrêt de travail. J'essaie de me remettre de tous les abus que j'ai pu observer et qui me réveillent la nuit depuis des semaines. Je ressens du désespoir pour tous les enfants et tous les ados qui sont prisonniers de ce système, brimés en permanence par des enseignants et des personnels administratifs terrifiés par le virus, et surtout terrifiés par la pression hiérarchique.

A la fin tout le monde se tait, lessivé, mais il ne faut pas beaucoup de jugeotte pour voir que nombreux sont les élèves qui souffrent en silence.

Une enseignante qui a refusé de vendre son âme pour sauver sa carrière.

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