10 décembre 2020
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Le 6 août 2020, à presque 88 ans, après une vie en autonomie, ma mère fit une chute : le fémur avait lâché. Transport à l’hôpital de Vienne en Isère, opération : clou gamma et promesse de rééducation.
Elle s’est battue pour la liberté dans les années 1939/45, et rédigeait elle-même ses propres attestations pendant le 1er confinement, qu’elle exécra et vécut très mal. A cette époque on s’appelait tous les jours : on refaisait le monde, on riait, elle était très lucide sur la situation actuelle…
Elle fut donc transférée dans un hôpital de l’Isère qui assumait de plus longs séjours (Ehpad) et un début de rééducation : les places étaient très difficiles à trouver. Je l’appelais le plus souvent possible et la trouvais souvent affligée de se sentir négligée, consciente du manque de personnel de l’hôpital, et des conditions de travail délétères. J’envoyai un premier mail à la direction de l’hôpital, qui resta sans réponse.
Elle se plaignit d’être tombée… Je voulus prendre des nouvelles : son téléphone sonnait dans le vide tout comme celui du standard et ce pendant 24 heures !!! Le médecin me dira plus tard qu’il n’y avait personne au standard………………à cause du Covid, qui décidément a toujours eu très bon dos. Mais ceci, ce ne sont que broutilles comparé à ce qui va suivre.
Courant septembre, elle fit une chute qui fit bouger le clou gamma et occasionna un trauma crânien. Un matin, souhaitant faire ses besoins dignement et non se chier dessus, elle sonna les infirmières qui tardèrent à venir, donc sa voisine de chambre, plus valide qu’elle, essaya de l’aider à se mouvoir jusqu’aux toilettes mais la laissa tomber : une infirmière pour un étage de 36 chambres la nuit !!!!!!!!!!!!!
Je fus témoin de ces incuries car un jour, véhiculée par un ami, je fis une visite à l’hôpital de province. La petite vieille ficelée sur un fauteuil roulant déglingué, sans repose-pieds, c’était ma mère ! Celle qui n’avait plus assez de force pour appeler, ni pour actionner ce maudit fauteuil, c’était ma mère et qui se serait vomi dessus et chié dessus 3 fois si je n’avais pas été là. Mais c’est bien connu, les vieux sont là pour faire dans leurs couches sans moufter : déshumanisés, infantilisés, ils ne décident plus de rien : ni du choix de voir ou non leurs proches, ni du choix des protections ou des risques qu’ils voudraient s’octroyer.
Donc le lendemain ré-intervention, replacement du clou gamma, prothèse de hanche et seconde anesthésie. 8 jours plus tard elle s’encastrera la jambe dans les barreaux du lit : 3ème anesthésie pour remettre la hanche en place.
Je passe la liste des diverses pérégrinations toutes plus anxiogènes les unes que les autres.
Voilà le best of :
Un jour ma sœur vient pour une visite à l’hôpital de Vienne : ma mère n’est plus dans sa chambre !!! Où est-elle ? En réa ? A la morgue ? Non, on l’a transférée dans l’autre hôpital sans rien nous dire !
Les mesures liées au Covid se resserrent : en septembre, on doit prendre rdv pour avoir le droit de voir son proche… Au dernier moment, l’institution supprime le rdv : ma sœur ne se laissera pas faire et obtiendra le maintien du rdv pour le samedi 24 octobre.
Le 24 octobre à la fin de la nuit, ma mère s’échappa dans son sommeil de son vieux corps abîmé.
Celle qui me réclamait la mort à cor et à cris obtint satisfaction, j’appris la nouvelle par téléphone le matin ; le choc passé, je ressentis un immense soulagement : elle devait être placée dans une institution pour Alzheimer dans laquelle mon père séjourna 4 ans… Je doute que cette institution, au demeurant assez performante, ne subisse pas aujourd’hui comme tous les hôpitaux et Ehpads, les effets d’une crise qui s’est bien installée.
Elle a échappé à cet enfer et nous au contexte dans lequel nous aurions dû aller lui faire des visites, la voir grabataire et isolée, glissant dans le début d’une fin sans fin.
Vivre un deuil pendant un confinement est quelque chose d’horrible. Je me ressource, en général, dans la chaleur humaine, le partage, la convivialité, et là dans notre contexte, de plus privée de mes activités liées à la culture et l’artistique, ça en rajoute une couche aussi épaisse qu’un mille-feuilles XXL.
On ne parle guère des dommages collatéraux : ruine, dépressions, suicides… Au lieu de cela, on culpabilise les citoyens, on les maintient par un matraquage anxiogène. Tout cela relève de la maltraitance psychologique. Oui, l’hôpital a esquinté ma mère et a augmenté sa souffrance de fin de vie. Ma pensée ne tourne pas en rond dans des « si » qui voudraient refaire l’histoire, un jour ou l’autre il y a l’inéluctable : elle est partie pour cet ailleurs que je perçois (selon mes termes) et c’est une force qui me maintient hors de l’eau au-delà du traumatisme. Mais chez moi, la foi n’est pas fatalisme et n’empêche pas une sainte colère.
Elle a toujours déclaré : « Le jour où j’ai plus mes 2 bras, mes 2 jambes et ma tête, je préfère partir « là-haut » en plus je sais qu’il y a le téléphone ! » Sa volonté fut faite…
A ce propos, son médecin avec qui je discutais un jour de grande tourmente me dit : « Avec sa copine de chambre, elles n’arrêtent pas de me dire qu’elles veulent mourir mais moi je ne veux pas entendre ça, de toute façon, je leur dis personne n’en est revenu et alors si elles sont croyantes elles s’en foutent et m’écouteront pas » !
Cette déclaration péremptoire et d’une stupide et courante banalité, d’une platitude affligeante m’a beaucoup choquée. Médecin en gériatrie, on est incapable d’aborder le thème de la fin de vie avec les patients ?
On se permet des déclarations qui imposent une prétendue vérité sans aucune ouverture sur les recherches menées actuellement par des médecins réanimateurs, des cardiologues qui sont aux premières loges des phénomènes d’EMI (expériences de mort imminente, etc) …………et des recherches sur la conscience ?!!! Cela témoigne d’une étroitesse d’esprit et d’une incapacité à accompagner psychologiquement les patients en fin de vie.
Vous allez me dire « Pourquoi n’avez-vous pas réagi ? Pour la faire transférer ailleurs ? » Mais je vous ai fait grâce de toutes les démarches que nous avons faites ma sœur et moi. Suite aux dernières chutes, j’avais envoyé un mail beaucoup plus incisif à la direction de l’hôpital, à mots courtois mais fermes : « En bref si ça continue, on porte plainte. » Les infirmières, pour qui j’ai toujours eu immense soutien et respect, m’y ont vivement encouragée. Le directeur m’appela dès le lendemain, me soutenant que son hôpital fonctionnait parfaitement bien… Je lui dis le reste et lui fis le descriptif de ce dont je fus témoin personnellement.
En écrivant ce texte, je rends hommage et reprends le flambeau de mes parents qui furent des résistants et non des béni-oui-oui subissant un contexte injuste sans réagir.
Je rends hommage aux soignants en souffrance.
Je rends hommage à ma sœur qui a fait tout ce qu’elle pouvait.
Je rends hommage aux amis qui m’ont accompagnée moralement, qui m’ont véhiculée, qui m’ont donné leur chaleur et leur présence.
Certains autres, la tête dans le guidon pour sauver leur ordinaire, repliés dans leur syndrome de cabane, leurs peurs et leurs barrières déplacées jusque dans les cœurs et les esprits, ont été peu présents :
Je leur rappelle qu’un coup de fil n’est pas contaminant… Ce n’est pas à eux que j’en veux, mais à une gestion mortifère et inhumaine de cette crise par un pouvoir malveillant…
Allez, toutes et tous debout pour reconquérir liberté et dignité, pour qu’on arrête de nous voler nos vies, nos morts et notre être tout entier !
Monique Fuente