Témoignage de :

Dernières vacances avant le reconfinement

22 décembre 2020

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“- Vous partez ? Vraiment ? ”

 

Sur le marché de Dinard ce jour-là, le ton de ma collègue, d’habitude enjoué, semble plutôt inquiet. J’y percevrais même une note de reproche.

 

“- Ben oui, on a réservé ! Et ça fera du bien à Gab de prendre des vacances avec ses parents ! Pourquoi ? Quel est le problème ?”

“- Je sais pas… c’est pas très responsable… et puis vous risquez d’apporter le virus là-bas…”

 

Debout derrière mon stand, je reste médusée. Le mot “responsable” dans la bouche d’Annick, c’est pas un truc habituel ! Pierre et moi avons travaillé dur, tout l’été, derrière nos masques, espérant nous refaire financièrement après le confinement du printemps. Pour la Toussaint on se permet modestement une semaine en VVF, c’est notre seule semaine de vacances avec notre fils Gabriel, 10 ans, qui attend ça avec impatience… et on se fait remonter les bretelles parce qu’on risquerait de faire de l’import/export de virus entre la Bretagne et la Corrèze !

Merde ! Les gens, même les plus détendus, sont en train de devenir dingues ! On est le 15 octobre, le Ministre du Tourisme vient de nous supplier de partir en vacances, de “consommer”, de faire tourner l’économie, tout est encore permis (à part le couvre-feu dans trois grandes villes), mais voilà que “le peuple” devance maintenant les futures punitions gouvernementales ! La trouille instillée tous les jours sur les chaînes-infos, matraquée sur les radios, regagne du terrain et fait son travail de sape : les gens s’auto-surveillent, s’auto-sermonnent… s’auto-confinent !

Je tente de remettre le cerveau de ma collègue à l’endroit mais rien n’y fait : “la sœur de la femme du cousin de la petite amie de Dédé qui vend des bijoux sur le marché travaille en réa, et il paraît que ça augmente…” Toujours ce même discours, ça augmente, sans que les gens ne s’informent vraiment...

C’est l’heure de la remballe : je range mon stand, pas mécontente de couper court à la conversation, et de profiter sans culpabilité de cette semaine loin des marchés avec Pierre et Gabriel, malgré nos inquiétudes financières.

 

Pierre et moi avons monté depuis presque huit ans une petite entreprise de fabrication de bougies parfumées en Bretagne. C’est une reconversion, après avoir exercé d’autres métiers devenus asphyxiants. Aujourd’hui, nous sommes “Brune&Durand”, artisans/commerçants, les “Black&Decker” de la bougie bretonne… en plus modeste ! Mais “bon an, mal an”, nous en vivons. Habituellement.

 

Parce que là, ce sera “mal an”.

 

“Nous sommes en guerre” a dit le Président. Contre un virus tellement dangereux que nous devons rester cloîtrés, confinés, et ne pouvons sortir que masqués.

Une pandémie mondiale… Dans mon imaginaire, ces mots évoquent des corps qui tombent dans les villes, des cloches qui sonnent les enterrements. Mais là, pas de corps en masse dans les rues, pas plus de cloches ni de corbillards… Par contre des chiffres ! Tous les jours, plein de chiffres ! Des chiffres qui augmentent, et quand ils n’augmentent plus assez, on change les mots, on ne parle plus de malades mais de “cas”, pour que ça augmente encore et encore.

Une marée de chiffres et de courbes !

 

Notre activité a cessé lors du premier confinement, jusqu’à la mi-juin où nous avons enfin pu retourner sur les marchés, nos comptes dans le rouge mais contents d’aborder l’été.

Puis, dès le 14 juillet, les mesures sanitaires intenables imposées par les préfets et les maires ont eu raison de nos principaux marchés d’artisans. Et malgré la bonne fréquentation des touristes, la saison a été en demi-teinte. L’automne avance, sans ses foires et salons déjà annulés depuis longtemps, et nous attendons la période de Noël avec inquiétude, elle représente à elle seule plus de 30% de notre minimum vital.

 

En Corrèze, il pleut.

Mais qu’à cela ne tienne, on garde le moral et on fait les grottes, masqués évidemment. Devant Gab, on fait semblant de ne pas y penser mais on ne pense qu’à ça, et dès qu’il a le dos tourné à jouer au babyfoot avec les copains, on surfe sur nos téléphones, à la recherche des dernières déclarations du Ministre de la Santé.

Et finalement le couperet tombe : reconfinement, pas de marchés en novembre, sans doute pas en décembre (ne rêvons pas…), les commerces non-essentiels fermés donc nos revendeurs aussi… bref, ne reste plus que notre site Internet… et une aide gouvernementale en croisant fort les doigts.

 

Vendredi 30 octobre au matin, nous quittons la Corrèze enfin ensoleillée, et passons par Collonges-la-Rouge majestueusement reconfinée et déserte, où seuls trois ou quatre hurluberlus masqués prennent des photos…

Sur une aire d’autoroute, on engage la conversation avec une dame qui fume une cigarette en buvant son café : elle, le confinement, ça lui va, elle est presque contente. Elle va pouvoir rester à la maison, en télétravail, avec son salaire inchangé à la fin du mois. On est un peu sidérés. Elle ne se demande pas une seconde comment font “les autres”, les indépendants. On essaie de lui expliquer que ça la concerne aussi, que toutes ces aides miraculeuses que le gouvernement distribue depuis des mois pour maintenir à flot les petits entrepreneurs comme nous, elle aussi finira par les payer, comme tout le monde, en taxes, en impôts, en dette pour ses enfants si elle en a… Elle opine du chef en finissant son café, mais je ne suis pas sûre que ça imprime…

 

Désespérant.

 

G.B.

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