Témoignage de :

Enseignement masqué

23 novembre 2021

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  • Et surtout, n'attrapez pas le covid, sinon ce serait une catastrophe !

Je m'apprêtai à grimper les escaliers avec mes élèves derrière moi. Je leur avais demandé d'attendre que les élèves des autres classes montent avant nous pour qu'il y ait moins de monde. Il devait y avoir plusieurs centaines d'ados agglutinés sur les différentes marches, serrés les uns contre les autres comme des sardines avec un masque qui glissait plus ou moins sous leurs mentons respectifs. Un protocole très strict avait été mis en place pour "assurer notre sécurité" et donc, les autres cages d'escaliers étaient vides. Allez savoir pourquoi, ceux qui avaient rédigé ce protocole semblaient ignorer que, dans un collège, les élèves montaient ou descendaient en même temps et au rythme d'une même sonnerie. Donc je pestai intérieurement avec, au fond de moi, cette phrase menaçante de mon médecin spécialiste qui me terrifiait.

- Et je fais comment, moi, pour ne pas attraper le covid ? Au milieu d'un millier d'élèves et d'une centaine de collègues ? Avec mes propres enfants qui mangent à la cantine ? m'étais-je offusquée dans son cabinet sans avoir reçu de réponse.

Tandis que je méditais, le conseiller principal d'éducation observait ce drôle de troupeau désordonné dans son coin.

  • J'attends qu'il y ait moins de monde, je n'ai pas envie d'attraper l'covid ! rouspétai-je agacée.

Il me répondit en s'esclaffant :

  • Je m'attends à ce qu'on finisse tous par l'attraper !
  • Je ne peux pas me le permettre ! m'énervai-je horrifiée.
  • Moi non plus.

Je jetai un regard vers lui. Il avait effectivement eu des problèmes de santé. Ça n'avait pas l'air de l'inquiéter. Je haussai les épaules et revins vers la contemplation du bouchon. Décidément, il y avait toujours autant de monde. Soupirant, je me décidai à faire demi-tour pour aller grimper dans une autre cage d'escaliers, vide cette fois puisqu'elle était prévue pour descendre. J'ignorai donc les sens interdits, photocopiés et placardés sur les portes, ainsi que les quelques élèves qui m'avaient suivie et qui me devancèrent rapidement, jetant un regard inquiet vers moi, comme si j’allais leur reprocher d’avoir un peu de bon sens.

Arrivée enfin dans la classe, toute essoufflée sous un masque trempé de sueur, je leur annonçai l'annulation du contrôle puisque nous avions perdu trop de temps à effectuer un vrai parcours du combattant.

Le lendemain, après avoir distribué les copies à mes élèves de sixième, je m'assis à mon bureau et regardai brièvement un ciel gris d’automne. Nous étions en novembre 2020. J'avais mon nez écrasé par un masque inclusif. Les élèves étaient censés voir mes lèvres. En réalité, la condensation n'offrait pas un aussi joli spectacle. Mieux que la buée sur les lunettes, des gouttelettes écœurantes glissaient lentement à l'intérieur de la visière, cachant mes lèvres derrière un voile baveux. Mais je le préférais au masque DIM, fourni par le Ministère de l’Éducation Nationale et traité à la zéolite de cuivre et d'argent, substances considérées comme toxiques pour la santé humaine.

  • Mets ton masque comme il faut ! rabachai-je encore une fois à Paul.

Clac !

  • M'dame ! J'ai cassé mon masque ! s'étonna Lucas qui jouait avec l'élastique pour le glisser dans un trou à moitié déchiré.
  • Va t'en chercher un autre à l'accueil ! lui dis-je.

J'observai Paul une troisième fois. Son masque avait encore glissé sous son nez. Je m'aperçus que les élastiques trop lâches ne tenaient rien du tout, le masque n'était décidément pas adapté à sa taille.

Je soupirai intérieurement. A côté, Juliette buvait à sa gourde. Je découvris pour la première fois ses jolies petites joues rondes. Je profitai de cet instant rare pour enfin mémoriser sa deuxième moitié de frimousse.

Mais que faisait donc Sarah ? Ses petits doigts s'étaient glissés sous le masque autorisant ses dents à ronger nerveusement ses ongles.

Horreur !

  • Mais à quoi ça sert de mettre un masque ! lui lançai-je.

Sarah se mit à rougir sous le ricanement de certains élèves.

 

Quelques mois après mon opération chirurgicale, en mars 2021, j'appris aux infos que je pouvais enfin me faire vacciner. Quel soulagement ! Je pris donc mon téléphone et demandai à mon médecin de me piquer le plus rapidement possible avec l'Astra. Il me répondit que ce ne sera pas évident car il lui faudra s'assurer d'avoir une dizaine de patients le même jour.

Enfin, il me rappela la semaine suivante et me confirma un rendez-vous un mercredi à 13 h.

  • Il n'y a qu'en France qu'on se méfie de l'Astrazeneca, les anglais n’ont pas cette crainte, m'informa-t-il pour me rassurer.

Il se trompait car je n'avais pas d'appréhension, trop contente à l'idée que cette dose salvatrice allait me protéger.

Les trois jours qui ont suivi l'injection, j'eus une drôle de fièvre, une impression de fausse grippe, heureusement soulagée par du Doliprane ce qui me permit d'aller travailler à peu près normalement. Moins d'une semaine après, on annonça à la radio que ce vaccin ne sera plus administré aux moins de 55 ans. Je me félicitai d'être allée suffisamment tôt pour en bénéficier. Je découvris ensuite sur mon corps de gros hématomes. Je ne m'étais pourtant pas souvenue m'être cognée. Cela m'inquiéta pendant quelques jours car ils étaient très gros, d'un violet foncé, ils avaient du mal à partir et ils étaient vraiment bizarres. Je n'avais malheureusement pas pensé à les prendre en photo. Plusieurs mois après, je m'étais interrogée en lisant un article sur les signes de thrombose.

  • Je suis enfin vaccinée ! annonçai-je fièrement à mon chirurgien lors d'une visite.

Je poursuivis en prenant un air indigné :

  • J'ai plein d'élèves qui mettent mal leur masque, j'ai beau leur dire… Et puis ils passent leur temps à s'inviter sans un seul geste barrière !
  • Mais foutez leur la paix !

J'ouvris de grands yeux. Observant mon expression perplexe, il se radoucit et ajouta :

  • Vous voulez savoir ce que je pense de cette épidémie ?

Il fit face à mon air hébété. Il réfléchit quelques secondes et déclara, songeur :

  • Je me demande si on n’en fait pas un peu trop !

Je pris du temps à méditer ses paroles mais j'en déduisis rapidement que je devais enfin relativiser. S'il me disait cela, c'est qu'il ne devait pas me sentir en danger comme le médecin spécialiste avant l'opération.

Mes enfants s'aperçurent rapidement de mon changement de point de vue.

Je cessai de me prendre le chou sur ces histoires de masques et les encourageai à prendre eux-mêmes du recul. Mais je les avais tellement bien briefés qu'ils en étaient très étonnés et c'était limite qu'ils ne me fassent pas la morale à leur tour.

Fin mai 2021, c'était l'euphorie : on commençait à pouvoir enfin se retrouver au restaurant. On n'arrêtait pas d'en parler à la radio.

Cependant, nous pensions à nos pauvres élèves de troisième et de quatrième qui devaient faire face à cette joie tout en restant confinés. On parlait de "demi-jauge" pour réduire les effectifs des collèges de certains départements. En effet, les hôpitaux risquaient la saturation, disait-on. "Ma fille est étudiante en médecine et elle ne fait pas du tout ce constat-là" m'avait informé une collègue avec un air dubitatif. En tout cas, le gouvernement semblait vraisemblablement avoir oublié ces pauvres ados. Le directeur du collège s'offusquait : " Ils sont désavantagés pour le brevet. Ils ne sont pas à égalité avec ceux du collège voisin qui se trouve dans un autre département ! ".

Il faisait chaud dans les salles de classe. Nous ouvrions grand les fenêtres pour créer des courants d'air mais c'est la chaleur extérieure qui venait s'installer. De nombreux élèves se plaignaient de maux de têtes et me demandaient d'aller respirer à la fenêtre en laissant leurs narines à l'air libre quelques secondes.

J'observai Léo qui revenait s'installer en laissant encore son masque traîner sous le menton. Sa bouille me faisait penser à celle de l'humoriste Franjo. Mais il n'était pas très loin de Lina, une élève discrète et soucieuse, car sa maman atteinte d'un cancer était en train de subir une chimiothérapie. Non ! Pas question que le virus se promène librement dans la salle de classe !

  • Léo, remets ton masque correctement ! le grondai-je.
  • Madame, Lily ne va pas bien, me dit Estelle.

Je me rends compte que Lily respirait mal. Je lui demandai d'aller à l'infirmerie. Elle refusa et souhaita aller dans le couloir pour respirer sans masque. J'insiste pour qu'elle aille à l'infirmerie sans succès et finit par accepter sa demande. Je laissai la porte ouverte pour garder un œil sur elle. Son état ne sembla pas s'améliorer et sa respiration devint saccadée. Je demandai à une élève de la rejoindre. Catastrophe ! Lily commença à tourner de l'œil. Deux élèves finirent par l'emmener précipitamment à l'infirmerie. L'une d'elle reviendra pour m'annoncer : « l'infirmière me fait dire qu'il faudrait que vous fassiez la différence entre les élèves qui ont vraiment besoin d'aller à l'infirmerie et les autres ! ». Je serrai les dents en fulminant dans ma tête.

Le dernier jour d'école s'était fait sous des tonnerres de cris de joie d'enfants. Ça n'avait pas été le cas l'année précédente. La fin d'année avait été tristounette, comme si la magie des vacances s'était effacée sous l'effet du long confinement.

Début septembre 2021, nous nous réunissions entre collègues. L'une d'elle nous racontait qu'un ancien élève de sixième a dû rester une semaine chez lui suite à l'injection du vaccin. « Mais maintenant, il va bien, c'est juste un effet secondaire » avait-elle conclu.

J'étais en pleine réflexion pour la vaccination de mes propres enfants. J'avais le sentiment douloureux qu'on me poussait à faire un mauvais choix quoique je décide.

  • Je voudrais emmener mes élèves au théâtre, annonça une collègue de français, comment je fais avec cette histoire de pass ?
  • Il faut respecter le protocole exigé et donc demander un pass sanitaire aux élèves, répondit le directeur.
  • Et bientôt les tests seront payants, voilà qui calmera un peu les parents ! ajouta fièrement une autre collègue.

Cette réflexion dédaigneuse me plongea dans la stupéfaction. Le directeur me regardait fixement. J'avais plongé mon regard dans le sien, cherchant à y extirper une once d'humanité, puis je réalisai qu'il était en train de me répondre et que je n'avais absolument rien écouté de ce qu'il me racontait.

Soucieuse pour mes propres enfants et investie d’une curiosité scientifique, j’avais fait un long chemin dans la compréhension de la crise, choisissant de m’interroger et d’aller chercher l’info : un chemin qui n'est pas le plus confortable. Au début, je m'étais contentée de suivre ce qu'on me disait, un chemin tout tracé qui me faisait croire que j'étais protégée. Mais lorsque j'ai commencé à comprendre, j'ai été confrontée à la colère, l’amertume et la tristesse. Mais ce cheminement, je ne le fais pas seule. Je me suis autorisée à partager mes ressentis avec mes amis, en dépit des tabous.

 

Ne restons pas seuls.

 

Nath P.

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