Témoignage de :

Entre chagrin et espoir

19 janvier 2022

Partager cet article

Share on facebook
Share on linkedin
Share on twitter
Share on email

On m'a dit que ma lettre avait fait du bien, avait touché.... Et cela m'a fait du bien à moi de l'entendre. Alors quand, quelques fois, le chagrin me saisit encore, je me la rappelle pour me
redresser et me souvenir pourquoi...

Début septembre, j'ai fait un abandon de poste. Pas la force d'aller à la suspension et surtout, pas un seul instant, l'idée prospective de devoir à nouveau travailler avec ces gens-là, zélés de la vaccination,
du pass sanitaire avant l'heure, du masque à tout crin, et tant d'autres aberrations...

Je souhaite vous partager la lettre de remerciements que j'ai adressée, mi-octobre, à mes collègues, ma direction et celle de la fondation COS Alexandre Glasberg qui gère des EHPAD, dont celui où j'ai
travaillé.

Pour information, Alexandre Glasberg a été un prêtre catholique, résistant de la première heure, il a sorti beaucoup de personnes juives du circuit menant aux camps de concentration pendant la 2ème
guerre mondiale avant d'entrer dans la clandestinité. Il a, par la suite, initié une association pour s'occuper des étrangers en France puis des exclus de tous ordres, immigrés, handicapés, personnes
âgées...

Voici donc ma lettre :

« Bonjour à toutes et tous, En préambule, je souhaite rendre hommage à Alphonse Journeaux, mon grand-père maternel, déporté au camp de Mauthausen en 1943 pour avoir « déplu » à un soldat nazi,
vingt-sept mois qui transformèrent sa vie et celle de sa famille, de ma famille. Il n'eut pas la chance de croiser la route d'un « Alexandre Glasberg».

Son épreuve, sa force inspirent mes propres choix. Hommage aussi à Etienne Guillé, agrégé en physiologie-biologie, docteur ès-science pour m'avoir donné le goût de l'étude, de la recherche et
une soif inextinguible d'approcher les Lois qui régissent le Vivant. Son esprit m'inspire depuis près de trente ans. Hommage, enfin, à deux résidentes, Yvette L. et Monique B. qui m'ont offert des clefs de
compréhension auxquelles je n'aurais jamais pensé accéder. Ma vie en a été bouleversée.

Je suis aujourd'hui licenciée de l'EHPAD Cos St P. et je peux enfin exprimer toute ma gratitude à celles et ceux avec qui j'ai travaillé. Tout d'abord, je remercie Mr V. et Mme C. de m'avoir permis de
renouer avec les fonctions d'ergothérapeute, il y a de ça, près de 10 ans. J'ai pu, ainsi, redécouvrir combien j'aimais mon métier et combien j'aimais prendre soin des personnes âgées. A tout le
personnel, soignant et non soignant, j'exprime mes plus sincères remerciements pour cette fructueuse collaboration. J'ai appris à vos côtés avec enthousiasme, quelques fois plus durement
mais toujours dans l'intérêt premier des résidents.

Avoir traversé avec bon nombre d'entre vous, ces épisodes terribles que furent les épidémies successives du SARS-cov2 a permis de révéler, bien souvent, le meilleur de l'être humain : le courage
quand la peur nous étreignait, les compétences malgré les conditions difficiles dans ce que l'on a dû vivre et faire vivre aux résidents, l'humanité dans notre volonté d'adoucir l'épreuve, la permanence à
répondre présent malgré la fatigue, l'usure, les incohérences, les contradictions..., le soutien et la solidarité interprofessionnels pour ne pas fléchir... Et tant d'autres choses encore !

Associer nos complémentarités fut un beau partage et je vous en remercie. J'aurai un mot plus particulier pour l'équipe du 1er avec qui j'ai beaucoup partagé, ce fut une réelle joie de participer
avec vous à l'accompagnement des personnes porteuses de troubles cognitifs.

Je citerai Claire Oppert, violoncelliste musicothérapeute, dont les mots expriment si bien ce que j'ai souvent vécu : "... Et un éclat de lumière sans pareil a irradié leurs visages pendant quelques minutes
d'éternité, laissant apercevoir absolument intacte leur âme toute frémissante. Et le mouvement d'effeuillage des dépossessions successives de leur démence s'est inversé soudainement, attestant,
souverainement, que, eux, "résidents déments“ sont tout sauf ”privés d'esprit..."

Merci de m'avoir permis de découvrir, jusque dans ces retranchements inattendus, ce qui fait l'essence de notre humanité. Je veux remercier toutes celles et ceux qui m'ont manifesté leur soutien
et leur sympathie courant septembre, cela me permit d'atténuer le chagrin d'avoir dû partir ainsi.

J'aurai une pensée émue... tout un monde de pensées, en fait, pour tous les résidents et leurs familles qui m'ont accordé leur confiance et fait partager leur vie, qu'ils en soient remerciés.
Enfin, je remercie tous les acteurs directs et indirects de mon « drôle » de départ de l'EHPAD. Vous avez déclenché ce lent travail d'introspection pour que j'aille chercher au plus profond de moi, la
force de dire non, non au monde brutal que l'on veut nous imposer, non à la peur savamment distillée pour atteindre nos fragilités, non à la suspicion et au contrôle de nos faits et gestes, non à
l'exclusion orchestrée de tout un pan de notre société, non au clivage qui vient pourrir les relations au sein des familles, des amis, des entreprises...

Et enfin, non au chantage inouï de devoir se soumettre à un acte médical expérimental pour garder son travail. Alors, oui, merci de m'avoir appris cela.

Si, pour vous, je ne suis plus digne d'exercer mon métier, j'ai recouvré la dignité d'être fidèle à moi-même, à mes valeurs humaines et sociétales, à une vision du monde libre et responsable choisie en
toute conscience.
Mes pensées les plus chaleureuses accompagnent celles et ceux qui n'ont pas eu d'autre choix que de se soumettre pour simplement continuer à subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille. C'est
assez inattendu, mais me voilà, à 57 ans, partie sur d'autres chemins de soin et de santé, peut-être participer au levain d'un autre monde comme le suggère Stéphane Hessel.

Je vous souhaite le meilleur, que votre route soit en accord avec vous-même et à l'aune de Nelson Mandela, « que vos choix reflètent vos espoirs et non vos peurs » Tenter de s'aligner sur Hessel et
Mandela peut donner le vertige mais c'est de tout cœur que je m'y attèle.

Micheline

Défilement vers le haut