Témoignage de :

Il fût un temps…

9 avril 2021

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J’ai eu la chance d’avoir plusieurs vies professionnelles.

J’ai débuté comme animateur de classe de mer sur une petite île au large de Cannes puis on m’a donné de plus en plus de responsabilités jusqu’à devenir directeur du centre de vacances... C’était la belle vie. Mal payé mais j’y trouvais mon compte.

Puis, j’ai passé le concours d’entrée en IFSI. Je l’ai préparé pendant un an tout en travaillant. Je suis arrivé 5éme avec beaucoup de fierté. Je pensais alors que ce métier serait une passerelle vers la science, vers la compréhension de l’être humain... Mais il n’en fût rien!

En 2009 avec la loi HPST, ils ont reforgé entièrement la formation d’infirmier(ère). Beaucoup de stages ont été une véritable épreuve. Mal traité parfois, mais surtout sous estimé car ce nouveau diplôme ne plaisait pas aux anciennes... Et elles n’avaient pas tort finalement. En effet, celui-ci donnait aux ESI (étudiants en soins infirmiers) des savoir faire et des savoir être, mais peu de savoirs. A tel point que j’ai assimilé ce métier de soignant à un simple emploi de technicien en soins.

Les thématiques sur la physiopathologie regroupées sous forme de “processus” qui permettaient un gloubiboulga de connaissances sans liens, sans bases scientifiques claires. Juste de quoi comprendre que les tubes peuvent se boucher et qu’il faut les déboucher. J’ai compris bien plus tard quel était l’objectif : nous rendre faible sur le plan décisionnel par rapport au staff médical. Juste bons à être dans “l’humanitude”, l’empathie et l’altruisme... Bref, de bonnes poires.

Après avoir exercé pendant 2 ans dans des “pools” infirmiers, j’étais à la limite d’abandonner. Les administrations d’hôpitaux, publics ou privés, préfèrent avoir une main d’oeuvre qui ne s’investie pas trop dans la vie d’une équipe. Il pourrait y avoir des remises en question ou des rebellions. C’est pourquoi, ils ont créé ce système de “pools” ou de réserve.

Ils envoient les soignants où bon leur chantent et c’est bien évidemment une perte de qualité de soins pour les patients. Une infirmière ne prend pas ses marques dans un service en 30 minutes après une relève, de bon matin. Mais c’est ainsi. Une bonne infirmière sait poser un cathéter et doit surtout savoir rester à sa place. J’ai finalement trouvé un poste de nuit en médecine. C’était parfait. Pas de chefs la nuit ni de course contre la montre. Mais pas de vie sociale non plus.

C’est alors, que j’ai décidé de reprendre le chemin de la faculté... Mais celle de médecine cette fois. J’ai profité de mon travail de nuit pour préparer la journée le concours de PACES. Un vrai challenge. Et je l’ai eu! Six années à travailler comme un forcené pour réussir chaque partiel.

Tous aussi stupides les uns que les autres. Là aussi, les examens de fin d’année nous apprennent à ne pas remettre en question la débilité de celui-ci. On te pose des questions, tu y réponds même si elles sont totalement absurdes. On pense que la formation d’un médecin se fait dans la bonne humeur de l’hôpital. Que l’esprit des Carabins reste, même chez nos chefs... Mais il n’en est rien. C’est marche ou crève et beaucoup prennent la deuxième option. C’est l’auto formation dans les livres des collèges qui une fois empilés pourraient remplacer un mur porteur d’un immeuble. On nous assaille de recommandations HAS, de conférences de consensus et de nouvelles versions des collèges qui changent chaque année... Tout ça dans le but de passer le fameux Examen Classant National...
L’épreuve qui peut sceller ta vie professionnelle à jamais. Mieux vaut avoir une vie stable pour le préparer. Et puis, les études de médecine, c’est également l’inégalité. Certains ont leur T3 à deux pas de la fac, la meilleure prépa au concours et d’autres sont au CROUS et doivent bosser comme aide soignant tous les week-ends. Et il faut bien souvent s’endetter si les parents ne suivent pas. Sans parler de la pression mise sur des jeunes qui souvent n’ont pas encore 25 ans quand ils deviennent internes. Le chantage à la validation des semestres. Les semaines de 80, 90 heures voire plus. Mais on ne se plaint pas. On serre les dents jusqu’à la rupture.

C’était bien sûr avant la “crise” COVID. Depuis, ce qui a changé c’est la pression à la vaccination. La culpabilisation. La même que j’ai vécue quand j’étais ESI pendant la pandémie de grippe A H1N1. “Si vous ne vous vaccinez pas, vous aurez la mort de vos patients sur la conscience”.

Je pense à cet étudiant de Nantes... Et je me dis qu’il n’avait rien connu de la vie comme la plupart des étudiants en médecine. Je reste très étonné par le manque de prise de parole des étudiants en santé. Probablement qu’ils ont bien d’autres chats à fouetter. Mais ce sont les soignants de demain et ils auraient intérêt à se faire entendre.
Les externes ont gagné 100€ de plus par mois pendant le Ségur... Est-ce suffisant pour faire taire tout sens critique? Quand on pense que la Lecture Critique d’Article scientifiques est une matière à part entière enseignée pendant 3 ans...

Pour finir, je pense à la joie des enfants qui venaient sur “Mon” île pendant une semaine et qui découvraient la vie en collectivité. Qui pratiquaient des activités ensemble ; qui riaient lors des veillées, qui pouvaient monter à 9 sur un même bateau sans porter de masque pour apprendre à naviguer... Mais ça, c’était avant.

J’espère que je pourrais donner à mon enfant la chance de vivre ces moments. Pour l’heure, je suis profondément écœuré par la manière dont nous devons pratiquer notre art qu’est la médecine. 10ans d’études pour suivre les “recommandations de la HAS”.

Cette année, on abaisse la norme de la tension artèrielle... Très bien, je m’exécute. Je prescrirai plus d’anti hypertenseurs sans trop me poser de questions parce que les patients se bousculent dans la salle d’attente de mon cabinet de désert médical. Je vaccinerai ceux qui doivent l’être et j’accomplirai mon devoir de prolétaire médical.

Si j’avais su... je serais resté sur mon île!

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