24 mars 2021
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Jusqu'à juillet 2020, j'ai enseigné les arts plastiques dans un petit collège et je n'ai plus repris le travail depuis ce temps. En réalité je n'ai pas revu mes élèves depuis le 15 mars 2020, jour où on nous annonce le 1er confinement de quelques jours plus tard. Le télétravail a été catastrophique pour la plupart des élèves : fracture numérique, disparité, désarroi, illusion de communication virtuelle ; en bref des élèves sur le carreau, un travail pour l'enseignant colossal, pour « accoucher d'un petit pois ».
Je n'ai pas repris les cours en présentiel à la mi-mai, me refusant strictement de porter un masque durant les cours, de devoir parler à des élèves bâillonnés, de devoir désinfecter le matériel sans arrêt, d'avoir l'impossibilité de réaliser des travaux de groupe, de prêter du matériel, etc. Pour moi c'est antinomique avec le fait d'enseigner les arts en collège, avec la liberté inhérente à la matière que j'enseigne.
Constatant qu'à la rentrée de septembre la situation n'a pas changé, que la paranoïa est encore de mise, j'ai obtenu de mon médecin traitant un arrêt maladie. Celui-ci s'est prolongé par tranches de 5 semaines depuis. Je touche la moitié de mon salaire depuis deux mois et attends depuis 3 mois qu'une commission départementale étudie mon cas pour voir si je peux être considéré comme apte (donc obligé) au travail ou inapte.
Parallèlement à cette situation, qui est celle de nombreux professeurs en France (situation dont il ne faut surtout pas parler en interne, car « tout est bien, tout va bien dans le Mammouth »), j'ai fait une demande de rupture conventionnelle en octobre 2020 afin de quitter l'Éducation et de poursuivre mes activités artistiques à plein temps (photographie, graphisme, écriture). Ce projet est viable. Il était une solution acceptable pour sortir de la situation rocambolesque dans laquelle je me trouvais. En réalité je suis encore dedans parce que cette demande de rupture m'a été refusée. J'ai envoyé un recours à mon ministre de tutelle, M. Jean-Michel Blanquer et je suis toujours, fin mars 2021, en attente d'une réponse. Je ne me fais pas trop d'illusions, mais je trouve cette non-réponse et ce silence très irrespectueux. On appelle cela la « violence administrative et institutionnelle ». Cette situation me met dans un état de stress et dans un porte-à-faux insondable, proche de la schizophrénie. Au fond l’administration refuse de me rendre ma liberté, sous un prétexte uniquement financier — un décret datant de janvier 2020 qui est une quasi-coquille vide, puisque non suivi d’une enveloppe budgétaire suffisante, vu le nombre d’enseignants souhaitant quitter la « maison ». Cette emprise professionnelle est extrêmement difficile à vivre, car je ne veux plus enseigner. Depuis lors, elle atteint mon intégrité, ma santé physique et mentale.
Et voilà que maintenant j'ai écrit sur le sujet et qu'un éditeur publie le livre en mai prochain. Il s'agit d'un essai-témoignage, un brin pamphlétaire, qui analyse l'évolution — et l'involution — du système éducatif depuis que je suis enseignant, c'est-à-dire 24 ans. Je ne sais pas comment ce livre va être perçu par mon administration — je risque fort de me faire taper sur les doigts, mais je n'en ai pas trop peur. Je ne pouvais pas me taire et le terme d'"objecteur de conscience", bien plus que celui de « lanceur d'alerte », m'irait bien ! Fixer mes idées par écrit, trouver les sources et les références pour appuyer mes propos, revendiquer une autre manière de voir la pédagogie et les relations humaines au sein du Mammouth, tout cela a été salutaire pour moi-même — comme une sorte de bouée de sauvetage thérapeutique. Puisqu'un bon éditeur me fait désormais confiance, j'espère surtout qu'il pourra réveiller à sa façon « les consciences qui dorment au fond de leur lit » (Georges Moustaki, « Déclarations »).
Je refuse donc, au jour d'aujourd'hui, de devenir un en-soignant. J'entends par ce jeu de mots un en-saignant qui se contenterait de « réparer » les petits bobos cognitifs de ses élèves, en se faisant le porte-parole ou le passeur-passif de l'idéologie néolibérale et techniciste, transhumaniste et numérique qu'on veut nous imposer, par la « confiance », comme dit Sher Khan dans le « Livre de la Jungle ».
Je suis maintenant à une croisée de chemin. Cette "crise" fabriquée du Covid aura été au moins l'empêcheur de tourner en rond. Elle m'aura, comme nous tous ici à RéinfoCovid et chacun à notre façon et en fonction de notre parcours, permis d'opérer un virage à 180 degrés, d'ouvrir la voie — et la voix — vers une nouvelle façon d'appréhender la vie, le monde qui nous entoure, nos relations à autrui et à la nature.
Merci de votre attention, et belle journée à vous toutes et tous !
Pierre Rich