15 septembre 2021
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Infirmière diplômée depuis 2019, j’ai toujours exercé en service de réanimation par volonté de sauver la vie de personnes en situation critique.
Tout s’est toujours bien passé, j’ai pris le temps de prendre mes marques, car il faut savoir que les services de réanimation sont les plus techniques et exigeants en termes de soins infirmiers et de connaissances. On dit toujours qu’il faut avoir exercé au moins 6 mois, voire 1 an dans ce type de service avant d’être réellement à l’aise et autonome. Je suis confiante et ravie d’être dans le service dont j’ai toujours rêvé.
Puis, mes rêves se sont envolés, rattrapés par la dure réalité de la réanimation Covid et de cette crise sanitaire sans précédent.
A ce moment, je suis dans une Clinique Parisienne classée en 4ème zone pour l’accueil des patients contaminés. Habitués à ne s’occuper que de patients sortant de chirurgie, nous ne savions pas à quoi nous attendre, mise à part ce que nous entendions constamment dans les médias : un virus mortel nécessitant un confinement, qui touche des jeunes sans antécédents, que l’on peut se transmettre même en étant asymptomatiques… Comment ne pas appréhender tout cela avec une telle terreur médiatique ?
Puis nous apprenons que les hôpitaux de 1ère, 2ème et 3ème zone sont submergés de patients. Nous savons que notre tour arrive… L’ARS (Agence Régionale de Santé) nous envoie un document explicatif de la prise en charge des patients Covid selon les « recommandations », mais aussi et surtout, une liste de critères bien précis. Des critères pour sélectionner les patients qui auront le droit d’être soignés ou non.
Nous venions donc de réaliser que les personnes de plus de 70 ans même autonomes et en l’absence d’antécédents ne seraient pas acceptés en réanimation. Que les patients de plus de 60 ans n’avaient pas le droit à l’ECMO (machine qui remplace le cœur et les poumons) et que toute personne, même jeune, ayant un des facteurs de comorbidité présent sur cette liste tels que l’obésité morbide, des pathologies dégénératives ou certains cancers, se verrait refusée de la réanimation.
Nous en étions donc arrivés là ! En France ! Pays reconnu pour son système hospitalier, rendu à devoir faire le tri entre des êtres humains, sur la base de critères définis par une élite. En France ! Alors même que l’Etat pouvait bien se moquer de ce qui arrivait en Chine fin 2020 et en Italie quelques semaines auparavant. Un Etat qui n’a absolument rien anticipé et attendu que nous soyons submergés pour agir.
Nous sommes en Mars 2021, je travaille de nuit, et là nous apprenons que nous allons recevoir nos premiers patients Covid. Le stress, le doute, la peur de l’inconnu s’empare de nous, mais nous restons soudés les uns les autres. La vague était lancée. Les patients arrivaient via le SAMU par 3, 4…jusqu’à 7 entrées en une nuit avec seulement un médecin de garde et un interne (voire 2 par moment) dans le service.
Les patients arrivaient à bout de souffle et étaient intubés à la chaine. Le pire que j’ai vu était un patient arrivé avec seulement 67% de saturation en oxygène (le minimum tolérable est 90/92%). Des personnes à qui on avait dit de rester chez elles avec du Doliprane jusqu’au dernier moment, qui décompensaient 10 jours après le début de leurs symptômes.
Nous avons enchainé des nuits et des journées interminables. Souvent des journées de 13/14h, certaines fois 5 à 6 gardes en 7 jours, même malades du Covid nous avions pour ordre de travailler, un rythme effréné avec des conditions de travail surhumaines.
Pour anticiper la pénurie de matériel annoncée par l’Etat, nos chefs nous donnaient notre quota de tenues pour la journée, soit 2 blouses chirurgicales et 2 masques FFP2. En termes clairs, nous étions enfermés toute la journée dans des unités Covid bâchées pour ne pas contaminer l’air des couloirs et nous n’avions le droit qu’à une sortie d’une heure sur presque 13h à 14h de garde…
Suivant à quel moment nous prenions notre pause, nous pouvions enchainer le matin jusqu’à 8h sans enlever ce masque qui nous étouffait, sans pouvoir boire, manger, aller aux toilettes. De plus, il faisait très chaud à cette période et par moment la température montait jusqu’à 25 degrés dans les unités. Les malaises se sont enchainés, des migraines atroces dues à la déshydratation, des soucis pendant les périodes de règles des filles vu que nous ne pouvions pas aller nous changer, des infections urinaires, des pyélonéphrites et bien évidemment, des crises d’angoisse répétées.
Il y a eu des phases difficiles durant cette première vague, notamment une pénurie de sédations et de curares pour les patients, que nous avons essayé de combler par d’autres traitements, mais dont l’efficacité était moindre. Nous avons dû contentionner les patients à leurs lits, avec des attaches aux quatre membres, voire même la ceinture ventrale. Ce qui n’a tout de même pas empêché des auto-extubations. Le midi, tout le monde partait manger et parfois je me retrouvais seule, enfermée derrière ma bâche et tout mon accoutrement pendant 1h, avec 4 patients instables à charge. Le meilleur moment pour que tout se passe mal. Un patient qui nous fait un arrêt cardiaque pile à ce moment. Je crie dans le couloir pour demander de l’aide, mais personne ne m’entend. Je dois réitérer pour que quelqu’un daigne appeler un médecin en pause repas. Je suis seule face au patient et là je dois jongler entre massage cardiaque, noradrénaline et remplissage, avant qu’un médecin n’arrive au bout d’une quinzaine de minutes. Quinze minutes interminables où je me suis retenue de toutes mes forces de ne pas perdre connaissance tant le stress était à son paroxysme.
Voici un bref aperçu de l’enfer que nous avons vécu, nous les infirmières de réa, tant applaudies tous les soirs à 20h.
La première vague touchant à sa fin et ayant besoin de changer d’air, je décide de quitter la région parisienne pour la Normandie. Je me prends 2 mois de vacances, avant de retourner travailler en réanimation dans le plus gros CHU de la région. J’y intègre mon poste au tout début de la deuxième vague. Je suis prête dans ma tête, je sais à quoi m’attendre après ce que j’avais vécu.
Et là, rien ne se passe.
Nous attendons les patients qui ne viennent pas, alors que dans les médias ils disent que la Normandie est en zone rouge. Mes collègues me disent qu’il leur était arrivé la même chose à la première vague. Ils avaient déprogrammé toutes les opérations afin de faire de la place dans les services. Ils ont attendu plus de 15 jours avant de voir le premier patient Covid débarquer.
Nous enchainons donc la deuxième, puis la troisième vague, sans réelle tension hospitalière. Nous avons eu 2 semaines où presque tous les services étaient pleins, mais les médecins avaient pour ordre d’accepter tout ce qui venait, même des patients ne relevant pas spécialement de la réa.
Nous nous retrouvions avec plusieurs patients de réa non intubés. La charge de travail était nettement inférieure à ce que j’avais connu. Certaines nuits, nous étions 10 soignants pour 2 patients Covid. J’avais l’impression d’avoir débarqué dans un autre monde. Nous entendions aux informations que nous allions recevoir des transferts d’hôpitaux d’autres régions qui étaient surchargées, mais ils ont tous été annulés.
Je ne comprends pas qu’on nous ait laissé vivre un tel enfer en région parisienne, alors que clairement les hôpitaux périphériques n’étaient pas surchargés.
Pourquoi ne pas avoir transféré plus de patients alors que certains hôpitaux n’avaient même plus de travail ? Pourquoi avoir laissé les patients chez eux jusqu’au dernier moment avec du Doliprane ? Pourquoi ne pas avoir laissé les médecins de villes essayer de sauver les malades avant qu’ils n’arrivent en réa ?
On nous a fait vivre un enfer qui aurait pu être évité ou très largement limité. Et maintenant, après tous ces bons et loyaux services, après des mois de souffrance physique et psycho logique, je me retrouve sans travail à cause d’une injection expérimentale rendue obligatoire pour ma profession.
Nos libertés ont disparu, nous nous retrouvons bannis d’une société pour laquelle nous avons tant œuvrés, en dépit d’être nous-mêmes contaminés, nous qui étions tant applaudis tous les soirs.
Delphine