Témoignage de :

Le cœur a ses raisons…

2 mars 2022

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Depuis 3 ans, j’entretiens les terres de Louise. J’ai pris le relais de son jardinier coutumier suite à l’incapacité physique pour ce dernier de continuer. Louise est nonagénaire, cultivée, volontaire et intelligente. Nous aimons partager nos souvenirs et réflexions lors de promenades salutaires où je lui offre mon bras.

Depuis quelque temps, j’entrevois sa méfiance à mon égard. Elle a reçu ses 3 doses, moi pas. Je me suis absentée quelques jours pour cause de mauvais rhume. En effet, refusant la mascarade des tests et des cas, j’ai préféré me consigner à domicile en me soignant comme je pouvais. Lorsque je retrouve Louise, elle semble contrariée. Suis-je vraiment « guérie » ? me demande-t-elle en se tenant plus à distance que de coutume. Bien que lui ayant affirmé que, dans le cas contraire, je serais restée chez moi, je l’entends me signaler que désormais il me faudra porter le masque et me désinfecter les mains pour toute intrusion chez elle… Et qu’à défaut, elle se passera de mes services. Je reçois sa peur comme une violence. Que faire ? Si j’accepte aujourd’hui, de quoi m’accusera-t-elle demain ? Il y a du monde tous les jours chez elle ; serais-je la coupable idéale dès qu’un virus s’y manifestera ?

Je suis consternée et prête à renoncer. Et pourtant je reviens, quelques jours plus tard. J’entame mon travail pendant que Louise fait sa sieste. Il fait si bon dehors et le lieu me ravit ! Trois heures plus tard je descends de ma montagne pour « faire le chèque ». Et j’aperçois la vieille dame bizarrement couchée sur le banc de pierre tordu qui borde sa terrasse, blafarde, les yeux mi-clos. Je me rapproche immédiatement puis lui parle doucement. Ses yeux sont les seuls à me répondre. Je tente de la relever pour l’assoir dans une position plus confortable. Son corps est lourd et ses mains trop froides. Je lui frotte le dos, les bras, prends ses mains pour les réchauffer. Elle réagit mais toujours sans pouvoir me parler. Cela dure bien trop longtemps. J’ai oublié mon téléphone et cherche le sien dans la poche de sa veste, finis par le trouver et appelle le 18. Car je ne peux la
bouger, et ses jambes ne la portent plus. Vingt minutes plus tard, elle va mieux, j’ai réussi à l’allonger plus confortablement à l’aide de coussins et de couvertures. Elle peut enfin parler. Je suis heureuse d’accueillir les deux grands gaillards en uniforme qui n’ont pu rejoindre la maison qu’à pied, la route étant trop étroite pour y passer leur camion. Je pars un peu plus tard, rassurée.

J’ai revu Louise depuis ; j’avais préparé gants, masque et stylo. Je les ai laissés dans leur sac après avoir entendu « Je veux vous garder près de moi, donc on laisse tomber tout ça ».

Suzanne

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