Témoignage de :

Lettre à Monsieur Véran

21 décembre 2020

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Quelque part en France, loin de Paris.

Le 28/11/2020

Monsieur le ministre,

Nous avons bien pris connaissance de votre courrier du 19/10/2020 adressé aux professionnels de santé, joint à notre fiche de paye. Celui-ci mérite une réponse appropriée.

Depuis le début, dans notre engagement en tant que professionnels de santé, nous sommes mobilisés à toute heure et chaque jour pour la prise en charge des patients qui nous sont confiés, et ce, de tout temps, même en dehors de la crise sanitaire actuelle. Je tenais à vous le rappeler au passage. Vous « mesurez » notre « courage » et notre « dévouement ». Sachez, Monsieur le ministre, que ces notions de courage et de dévouement font partie intégrante de la déontologie liée à notre profession et ne sont par conséquent pas « mesurables ». Certaines vertus propres à l'être humain dans ce qu'il a de plus noble ne pourront jamais figurer dans un tableau excel.

« La crise épidémique a démontré la qualité du système de santé français ». Permettez-moi de vous contredire sur ce point, car elle en a plutôt révélé les failles (manque de matériel, manque de personnel, manque de moyens, services surchargés, personnel épuisé,...). Dois-je vous rappeler que quelques mois avant l'épidémie, le personnel hospitalier enchaînait grèves et manifestations pour dénoncer ces manquements ? Certes, vous n'étiez pas encore ministre à ce moment, mais vous avez tout de même accepté de reprendre le flambeau en connaissance de cause. C'est de votre responsabilité aujourd'hui.

« Un plan massif d'investissement et de revalorisation de l'ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital ». En annonçant cela, le Président de la République a-t-il conscience qu'il fut un acteur majeur de l'état de délabrement de notre service public hospitalier, lorsqu'il était ministre du budget dans le gouvernement Hollande ? (Les archives des journaux existent et sont consultables sur internet, je vous laisse vérifier). Ou alors, peut-être a-t-il cru que les Français étaient amnésiques ? Ou idiots ? Certes, il n'est pas responsable de tous les maux du système hospitalier qui s'accumulent depuis 30 ans, mais il a tout de même accepté de reprendre le flambeau en connaissance de cause. Il en est donc responsable aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, la technique qui consiste à créer un problème pour ensuite en apporter les solutions est une tentative de manipulation plutôt grossière qui ne convaincra que les partisans LREM les plus arrivistes (qui sont une espèce en voie de disparition dans ce pays, les élections municipales et européennes en ont été les premiers signes.).

« Bâtir les fondations d'un système de santé encore plus moderne, plus résilient, plus innovant, plus souple et plus à l'écoute de ses professionnels, des usagers et des territoires. » Voilà une remarquable façon de créer l'illusion d'annoncer quelque chose de très important tout en ne disant rien. Au passage, résilient signifie « qui résiste aux chocs ». Ça, c'est le rôle d'un crâne de manifestant (sic), pas d'un hôpital. En effet, dans un système de santé en bonne santé, la prévention et l'éducation jouent un rôle majeur dans les questions de santé publique. Or, depuis le début de cette crise sanitaire, quels ont été les messages informant la population concernant le fonctionnement du système immunitaire ? les façons de le renforcer ? les mécanismes de l'infection virale ? les façons de s'en protéger ?... Aucun ! Les seules réponses de votre gouvernement ont été les restrictions de liberté et la répression aveugle sur fond d'informations anxiogènes. Être en bonne santé ne se résume pas qu'à une absence de maladies, et les dommages collatéraux de votre calamiteuse gestion de crise, notamment sur la santé mentale des plus fragiles, seront plus nombreux que vous ne le pensez et vous en serez tenu pour responsable.

Parmi les engagements pris dans le Ségur de la santé, figure la revalorisation salariale du personnel médical et paramédical. C'est très bien et c'est un beau geste. Cependant, permettez-moi de demander quelques éclaircissements : les cadres (N+1, N+2, N+3,...), qui n'ont jamais approché un patient et qui ont passé tout le confinement bien au chaud chez eux à remplir des tableaux excel et des statistiques inutiles, sont-ils concernés ? Ou alors, allez-vous enfin considérer dignement ceux que notre cher (trop cher) président appelle cyniquement les « derniers de cordée » ? Ou bien, allez-vous enfin vous décider à « dégraisser le mammouth », en ré-affectant certains postes administratifs qui coûtent cher, prennent du temps, agacent une bonne partie du personnel et dont l'utilité n'est pas démontrée à ce jour ?

Quid enfin des déserts médicaux ? Nulle mention n'en est faite dans le Ségur. Comment allez-vous remplir les 1300 places supplémentaires ouvertes dans les IFSI, alors que le métier est si peu attractif que plus personne ne veut l'exercer en France ? Dans votre courrier, vous parlez d'une majoration exceptionnelle des heures supplémentaires... Savez-vous qu'à l'heure actuelle, elles ne sont pas payées, et récupérables seulement au bon vouloir de la hiérarchie ?

Vous concluez en disant que vous pouvez compter sur nous et que nous pouvons compter sur vous. Sachez, Monsieur le ministre, que l'histoire de notre pays nous a montré qu'un ministre de la santé (et de tout autre ministère) est substituable. D'ailleurs, je ne doute pas que vous quitterez votre poste à la première opportunité alléchante qui flattera votre ego. C'est pourquoi nous ne comptons pas sur vous. Par contre, soyez assuré que les patients pourront toujours compter sur nous, car nous, nous ne sommes pas substituables.

 

Une aide-soignante (Service de Soins Infirmiers A Domicile), oubliée du Ségur.

Un ambulancier, oublié du Ségur.

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