Témoignage de :

Masqu’sacre de la parole

21 décembre 2020

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« La parole est à moitié à celui qui écoute, et à moitié à celui qui parle »

Montaigne

 

Peut-on communiquer sans partager l'air qu'on respire ? Peut-on s'écouter sans se voir ? Au retour du premier confinement, Milan revient, je l'accueille avec une visière, je sais que quand il voit les masques à l'hôpital de jour où il est accueilli, il hurle ! Je n'ai pas encore de masque transparent et ne les aurai qu'à la rentrée de septembre. De toute façon même si c'est un plus, je m'aperçois vite que certains enfants les supportent moins bien que la visière. Cette même visière, d'ailleurs, que quelques-uns m'arrachent en se précipitant sur moi pour une rencontre à découvert.

Mais revenons à Milan, je le connais depuis qu'il a deux ans, lors de nos premières rencontres, il ne pouvait regarder personne dans les yeux et il lui a fallu plusieurs années pour le faire même avec sa maman et maintenant, voilà qu'il m'est demandé de le recevoir avec masque. Lui qui souhaite me voir mimer toutes les émotions que nous racontons sur les livres. C'est insupportable, pour lui comme pour moi. Et je suis amenée à désobéir et à porter la visière bien moins protectrice comme chacun l'entend des experts bien intentionnés. En septembre, j'alternerai avec le masque transparent qu'il supporte mais qui le prive d'une partie de l'information. Pour exemple, cet enfant que j'avais accueilli avec le masque transparent en début de séance car je parlais avec son père et voulais être sanitairement correcte, ne me reconnaît vraiment et ne me sourit que quand, le père parti, je mets la visière, il me tend alors les mains et bien sûr je les lui prends. Je suis ainsi encore plus hors-la-loi sanitaire, me diront peut-être certains experts du protocole sanitaire ; mais qu'importe si c'est pour rester humaine et professionnelle. Chaque parent est informé et tous sont d'accord.

J'assume en mon âme et conscience même si ces mots sont désuets. Pour en revenir à Milan, cet enfant, qui parle encore très peu, a besoin de voir les lèvres comme beaucoup d'enfants en difficulté de langage. Alors que je tentais de porter un masque chirurgical avec lui à un moment où il l'avait toléré, j'ai dû l'ôter aussitôt. Je lui dis "bien" et comme j'étais éloignée de lui, il comprend "viens" et crie, "non ! pas venir !". Lui qui a mis tellement de temps à entrer dans le langage verbal, faudrait-il que je mine ses moments d'orthophonie en tronquant les informations qui l'aident non seulement à comprendre, mais encore à être en lien ?

N'est-ce pas l'inverse du soin pour une orthophoniste, d'autant plus en pédopsychiatrie, en surdité, en gériatrie, ou tout simplement pour soutenir l'accès à la langue écrite, que de se voir demander de porter un masque ?

Ainsi, j'accueille un enfant en groupe, il veut toujours se cacher le visage, et cela bien avant le covid (que je refuse de féminiser). Maintenant, il joue son symptôme à visage masqué.

Bien sûr, je devrais faire comme à l'école et inciter fermement tout enfant de plus de 6 ans à se couvrir le visage. Et comme cela, accepter de moins comprendre leur articulation, leur mimique, leur expression, muselées au nom de la loi sanitaire. Je suis déjà obligée de limiter leurs explorations pour ne pas avoir à nettoyer trop de jeux après leur séance, car même en leur demandant de se laver les mains, à peine après leur avoir dit bonjour, je suis censée traquer le covid après leur passage. Jusqu'où ira-t-on dans cette barbarie où la rencontre humaine est passible de donner la mort, où les bébés et leurs mères doivent se rencontrer la première fois à visages couverts ?

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