Témoignage de :

Mon père est mort et il a été abandonné

5 mai 2021

Partager cet article

Share on facebook
Share on linkedin
Share on twitter
Share on email

Mon père est mort du Covid. Ça s'est passé dans une grande ville du Nord, il y a un mois, il avait 95 ans et il aimait la vie.

Ce qui me rend triste et en colère, c'est la façon dont il a été mal traité, humilié, dont sa dignité et son humanité ont été niées.

Transféré dans 3 cliniques différentes en 8 jours avec interdiction de visites, même lorsqu'on nous a dit qu'il était condamné. Mon frère qui est venu le voir de Nice sur la journée pour lui dire adieu, a été interdit de visites. Ce n'est que lorsqu'il a demandé à la Directrice de signer un papier attestant qu'il n'avait pas le droit de voir son père de 95 ans en fin de vie, que la Directrice lui a dit dans un soupir : "si vous le prenez comme ça, vous irez le voir, votre père, mais pas plus de 5 minutes". Il a effectivement vu notre père 5 minutes, pas une de plus, une infirmière est venue lui signifier que les 5 mn étaient écoulées.

Mon père toujours si digne, toujours si propre, était mal installé, blouse d'hôpital mise à la va vite et le dénudant partiellement ou totalement, pas rasé, pas coiffé.
Lorsqu'on m'a appelée pour me dire que mon père était en train d'agoniser, j'ai couru à la Clinique. Le service avait été prévenu et avait donné son accord pour ma venue. J'ai attendu derrière la porte du service Covid 1 h 30 qu'un médecin vienne me voir. Quand il est arrivé, je lui ai dit calmement que j'étais inquiète car j'attendais depuis longtemps et j'avais peur que mon père meure pendant ce temps, il m'a répondu "Madame, des mourants comme votre père, j'en ai plein le service". J'ai répondu que moi je n'avais qu'un père, il m'a dit que je ne pourrais pas rester jusqu'à la fin, et a ajouté, "vous savez que vous aurez du covid partout, dans les ongles, les cheveux, partout ?" Puis il est parti sans une parole de de soutien ou d'encouragement. Je suis stupéfaite d'une telle violence. J'ai à nouveau attendu 20 mn que les infirmières viennent m'aider à m'habiller.

Je suis restée 1 h 30 avec mon père, qui était par moments agité. Jamais personne n'a passé la tête juste pour voir comment il allait, ou comment moi j'allais. Puis je suis partie, j'ai croisé plusieurs professionnels sur leurs ordinateurs, personne n'a répondu à mon au revoir. Lorsque, d'un geste machinal, j'ai enlevé ma charlotte, quelqu'un a alors crié "charlotte" ! c'est le seul mot que j'aie entendu prononcer à part les paroles du médecin relatées ci-dessus.

Je peux comprendre qu'on soit débordé, épuisé, au bord du burn out.
Je ne peux pas comprendre qu'on laisse des personnes en fin de vie mourir seules, abandonnées sur le chemin, sans un mot de réconfort, sans un geste doux, sans humanité.
Je ne l'accepte pas.

 

Véronique

Défilement vers le haut