Témoignage de :

Nanti ou Paria ?

17 septembre 2021

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Depuis un an nous constatons l’amenuisement de nos libertés petit à petit sans nous en rendre compte, comme une grenouille dans une marmite plongée dans de l’eau froide qu’on chauffe
petit à petit jusqu’à l’ébouillanter avant qu’elle ne puisse sauter pour s’enfuir. C’est à cela que nous assistons depuis un an et demi.

Je suis partie vivre à Mayotte en février 2020. Je pensais à cela depuis bien longtemps à vrai dire probablement depuis 2016 la première fois où j’ai mis les pieds sur ce petit bout de caillou. Ca
a été un véritable choc culturel, j’ai ressenti beaucoup d’émotions en arrivant ici pour la première fois, c’était la période des grèves et des barrages, les routes autour de Mamoudzou étaient bloquées
dès mon arrivée et cela pendant 4 semaines alors que mon séjour était de 7 semaines. J’ai pourtant pu profiter pour découvrir Mayotte, les randonnées à Iloni, au lac Dziani, les plages du sud, les
sorties bateaux etc … Choc culturel car Mayotte c’est l’Afrique, les vaches qui broutent l’herbe autour de l’aéroport, les enfants qui courent pieds nus dans la rue, qui se baignent dans le port à
Mamoudzou à côté de la barge, ou dans la mangrove. J’ai découvert la dure réalité de la vie à Mayotte aux urgences et cela fait un choc quand j’ai reçu une petite fille de 5 ans qui venait aux
urgences suite à une agression sexuelle … J’ai découvert la gynécologie, la maternité, les salles d’accouchement … J’ai été me former auprès des sages femmes, j’ai même fait des accouchements
en Smur ou des accouchements « parking » à l’entrée des urgences … J’ai découvert la triste réalité de la violence à Mayotte, je me souviens de ce jeune adolescent qui avait été agressé par un
individu avec une arme blanche dans un minibus scolaire, la chauffeuse du bus par réflexe, et ce geste fut certainement salvateur pour le gamin, a foncé droit aux urgences, s’extrayant de la zone
dangereuse, protégeant les autres enfants présents dans le bus, et ne perdant pas une minute pour emmener la victime à l’hôpital. Nous avions reçu l’adolescent sur le parking des urgences, souffrant
d’une plaie hémorragique du scalp et de plusieurs plaies au thorax, il était en choc hémorragique, il avait soif, un signe majeur de la perte de liquide, heureusement il n’avait pas eu de lésion viscérale
profonde et s’en était sorti sans aucune séquelle.

C’était mon premier séjour à Mayotte et pourtant à ce moment là, je ne pensais pas pouvoir un jour venir vivre sur cette petite île de 375 km². Le climat social était tellement tendu à ce
moment là, que je ne pouvais envisager cette éventualité. Les barrages m’empêchant parfois de sortir de Mamoudzou pour visiter l’île, j’en avais profité pour aller sur le lagon et à la plage autant
que possible.

Je suis ensuite revenue en 2017, un mois à peine, 4 semaines, aussitôt arrivée presque je devais déjà repartir, pourtant j’avais également profité de mon séjour, pour aller voir les pontes de
tortues à Moya, faire des randos, découvrir l’île ...
Je suis revenue 3 mois en 2018, toujours en période de grève avec des barrages routiers, des arbres coupés pour bloquer les routes, les revendications étaient sociales, les conditions de vie à
Mayotte, les minimums sociaux, les droits des citoyens etc … Je m’étais inscrite à une salle de sport qui se trouvait en amont des barrages donc je pouvais y aller sans soucis, j’ai aussi profité du lagon,
je crois que j’avais fait 5 ou 6 sorties bateau en trois mois. J’avais fait de superbes rencontres au boulot et en dehors du boulot, j’avais fabriqué un piano pouce en noix de baobab, un super souvenir
que j’ai toujours ici dans mon salon …

A la fin de l’année 2018, je suis revenue, pour les fêtes de fin d’année avec mes amis Caro et Jerem, nous avons fait notre niveau 1 de plongée ensemble. C’est à ce moment là que j’ai eu le
déclic et que je me suis dit que je voulais retourner vivre à Mayotte pour m’investir, découvrir plus profondément la culture, la langue, les amis Mahorais … Quand je suis rentrée chez moi en
métropole, la première chose que j’ai dite en ouvrant la porte c’est « je veux retourner à Mayotte ».

Je suis revenue en 2019 à la fin de l’année, j’ai bien pesé le pour et le contre, réfléchi, je me suis renseignée sur les conditions de travail, le salaire, les primes etc …
Entre temps, j’avais commencé à travailler à Jonzac où j’ai découvert une merveilleuse équipe soudée, efficace, rigolote … J’ai fait mes meilleures inter Smur à Jonzac … J’ai organisé ma
vie pour pouvoir venir à Mayotte, passé mon concours de praticien hospitalier, fait plein de formations à Paris, à la SFMU …

J’ai pris ma décision et annoncé à mon entourage, ma famille, mes collègues, mon amoureux de l’époque que je partais vivre à Mayotte pour plusieurs années, j’ai tout organisé et j’ai pris
l’avion fin février, je suis arrivée à Mayotte le 27 février 2020, quelques jours avant le début de la fin …

Je suis arrivée ici, j’étais une nanti, on m’a déroulé le tapis rouge, les primes d’installation, les primes d’engagement, le poste de PH, ... Avec Mariam, nous avons trouvé un magnifique
appartement à deux pas de l’hôpital, une vue sur le lagon, un délice pour les yeux, nuit et jour …

J’ai noué de parfaites relations amicales, professionnelles … Tous les jours, en arrivant au boulot, je me dis que je suis chanceuse de bosser ici dans cet hôpital et de vivre sur cette île que
j’aime tant …

Je bosse beaucoup mais dès que je peux je vais voir les tortues … A Mayotte, nous étions un peu protégés de cette folie ambiante mondiale qui se déroulait sous nos yeux ébahis, et
heureusement, ce n’est pas un petit virus de merde qui empêche les Mahorais de se retrouver en famille, entre amis, de faire des barbecues, de se rassembler pour les mariages et pour les voulés le
week-end …

Je me disais tous les jours que j’avais pris la meilleure décision de ma vie en venant m’installer à Mayotte … J’avais la vie idéale, un super job, où j’apprenais tous les jours, des
collègues en or, une colloc merveilleuse, des découvertes incroyables et inoubliables … Que demander de plus dans la vie pour être heureuse que de faire des bivouacs sur la plage avec des
amis ou des collègues, et de se réveiller en pleine nuit pour aller voir une tortue pondre, ou de se lever le matin et de voir les tortues redescendre à la mer après avoir laissé leurs œufs dans le trou creusé à la force de leurs pattes … la nature est merveilleuse, les tortues sont vraiment des animaux magiques qui apaisent, des véritables forces de la nature …
J’étais une nanti, un job de rêve, beaucoup d’argent, même si évidement beaucoup d’heures de travail, avec des nuits blanches, parfois des larmes, parfois du stress, mais beaucoup d’entraide et
de soutien entre les collègues et les amis …

Et aujourd’hui, que suis-je ? Qui sommes-nous ? Je suis une paria, j’ai quitté le navire, quitté la barque, je ne veux pas vivre dans ce monde ni dans cette société, régie par des dictateurs, des
monstres totalitaires, sans foi ni loi, sans scrupules, qui passent des marchés épineux avec des lobbys pharmaceutiques et qui régissent le monde par la peur, par la délation, par la suspicion …
Mes amis, ou plutôt les personnes que je pensais mes amis ont disparus, certains m’ont traités d’« égoïste », une égoïste moi ? Y a-t’il beaucoup de monde en France en dehors des
médecins et des paramédics, qui bosse au minimum 43 heures par semaine, pouvant aller parfois jusqu’à 50 heures, 55 heures voir 60 heures ??? Qui fait une à deux nuits de garde par semaine ?
Des nuits blanches ou quasi à chaque fois, qui ne finit jamais sa garde à 8h00 car il y a la relève, on débriefe des dossiers de la nuit, on finit les choses qu’on n’a pas pu faire la nuit, récupérer un
résultat, rédiger un certificat etc …

Et maintenant je suis une paria ? Car je ne céderais pas à l’injonction ? Beaucoup de gens me disent « mais ce n’est qu’une piqûre … » , tu ne vas pas quitter ton boulot, tu es médecin, tu ne
peux pas arrêter de travailler … Bizarre ... j’ai déjà entendu ces mots, quand je suis partie d’Angoulême, j’étais complètement au bout du rouleau, je pleurais tout le temps, j’étais épuisée,
j’étais dans un rouleau compresseur, ou plutôt dans un tambour d’une machine à laver qui ne s’arrête pas, j’étais devenue un robot de la médecine, je prescrivais chaque jour les mêmes
médicaments sans même avoir le temps de réfléchir, de m’informer, de discuter, j’étais dans le moule, c’était à qui cliquera le plus vite … qui éteindra la lanterne rouge le plus rapidement …
Pourquoi en tant que médecin je ne pourrais pas m’arrêter de travailler pour prendre le temps de réfléchir ? Je ne suis pas une nonne, la médecine n’est pas un sacerdoce, si ce que je fais
ne correspond pas à mes valeurs, j’arrête, je ne vais pas me renier pour plaire aux lobbys et pour engraisser les multimillionnaires. Je serais une paria ? Tant pis, je préfère être une paria que
d’assister et de participer à ce monde qui me débecte …

Tiens ! Je viens de faire une faute assez intéressante j’ai écris sacerdose au lieu de sacerdoce ! Eh oui, la médecine n’est pas une sacer-dose, une sacrée dose ? Une dose ? As-tu eu ta
dose ? J’ai eu deux doses, on peut se faire la bise … Les rapports sociaux sont maintenant basés sur la dose / les doses. Tu as eu ta dose, tu fais parti de la société, tu es un nanti, tu peux aller au ciné,
au resto, au théâtre, tu peux prendre l’avion, le train … Tu n’as pas eu ta dose, tu es un paria, un intrus, un individu à éliminer de la société par tous les moyens, privé de ressource, privé de droit,
pour ne pas vouloir suivre la doctrine, invectivée chaque jour à coup de chiffres et de peur …

Où sont les Mahorais qui faisaient des barrages en 2016 et 2018 pour réclamer l’égalité avec la métropole ? Qui réclamaient les mêmes droits ? Où sont les gilets jaunes à qui on a arraché les
mains et crevé les yeux en 2019 ? Où est la révolte ? La France n’est-elle pas un pays de révolutionnaires ? Où serait la France d’aujourd’hui sans les parias ? Sans les résistants ? La France
est devenue le pays des droits de l’homme grâce à eux, ceux qui ont défendus nos droits, qui se sont battus pour la liberté, pour l’égalité, pour la fraternité ? Où est la fraternité dans ce pays ? Dans
cette société où l’on ne pense qu’à son petit nombril ?

Les gens ne sont plus que des OQTF, des QR codes, des numéros de sécu ?

Je suis une paria et je le resterais …

Thelma & Louise,
Le 24/08/2021

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