Témoignage de :

Noël en EHPAD, lettre ouverte

21 décembre 2020

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Monsieur le Président, Monsieur le Ministre de la Santé,

Cette année, pas de fêtes de famille en EHPAD.

Pas de fête du tout en fait. Pas de fêtes en famille à domicile, pas d'exception à la règle

Consignes ARS 20.11 20 « Les visites en famille sont suspendues temporairement » (1)

2020, c'est pas la fête !

Malgré le terme « Dépendants » pour le D de EHPAD, beaucoup de résidents ont encore toute leur tête, réfléchissent et souffrent mais se taisent. Ils ont bien compris et ils n'ont pas droit au chapitre.

Cette année, Noël n'existera pas pour eux, ou si peu, et de même pour les familles. Ils feront partis des laissés-pour-compte.

Cette année, les EHPAD sont des prisons, sans liberté conditionnelle, pour 700 000 personnes environ.

Comme depuis des mois, pour les dernières semaines de l'année, et pour Noël, rendez-vous de ¾ d'heures fixés bien à l'avance ; masques et distanciation physique de mise, bien sûr, (ceci alors que certains ne reconnaissent déjà plus leurs enfants ! ; quant au toucher, les psychologues savent combien les gestes d'affection sont salvateurs…) ; sans partage de quoi que ce soit...Que reste-t-il ? Un sourire derrière le masque et des picotements dans les yeux.

¾ d'heure et une séparation.

¾ d'heure dans un lieu collectif, les chambres individuelles n'étant pas accessibles depuis bien longtemps. Pas de décoration personnalisée donc pour ce Noël, selon le temps qui peut être accordé aux familles par le personnel des établissements, qui fait ce qu'il peut, débordé et en sous-effectif... et en souffrance également.

2020, c’est pas la fête !

« La santé n'a pas de prix » avez-vous dit Monsieur le Président dans votre discours du 12 mars.

Et bien SI ! La santé a un prix, celui de la dignité et du partage. Rester en bonne santé, ce n’est pas rester isolé un jour de fête.

Cette année, Noël en EHPAD se passera, avec peu ou pas d'émotions, peu ou pas de rires, dans les souvenirs et beaucoup de tristesse tout au fond d'eux-mêmes pour beaucoup de résidents. Le sourire sera bien souvent factice, malgré toute la bienveillance dont fera preuve le personnel des EHPAD en ces jours de fin d'année d'une fin d'année particulière.

Au terme de l’existence, quelles attentes quotidiennes ? Quelles attentes pour Noël pour bon nombre de personnes ?

Le partage d'un repas avec ceux que l'on aime, les cadeaux, des photos, des fleurs ; ce sont des embrassades, des câlins à ses petits-enfants. Ce sont surtout des rires, des larmes, peut-être de la colère et des emportements, des EMOTIONS...ce pour quoi nous vivons !

Il arrive un âge où chaque jour, chaque semaine, et donc Noël, peut être le dernier jour, la dernière semaine, le dernier Noël. Laissez à chaque individu, citoyen libre de la République, de faire le choix de vivre ce jour à sa manière pour ceux et celles qui le DESIRENT. Prendre le risque réfléchi et accepté de VIVRE pour de vrai, dans le cercle familial. L'amour soigne et protège aussi, et bien plus qu'un isolement.

Cette année, les « résidents », sains de corps et d'esprit, citoyens, citoyennes à part entière, n'auront même pas le choix de la décision de pouvoir se rendre dans leur famille. Des tests pourraient leur être proposés, des solutions pourraient être trouvées, un confinement d'après Noël pourrait être proposé, que sais-je ? Mais NON ; Aucune proposition. Pas assez de moyens et de personnel dans les EHPAD ? Pas de volonté politique ??

La liberté individuelle est bannie par l'intérêt collectif, et de surcroît pour ceux qui nous ont mis au monde, nourris et éduqués…et qui ont la malchance de ne plus pouvoir vieillir à leur domicile. Où sont les notions d'égalité et de liberté écrits sur les frontons républicains ?

2020, c’est pas la fête !

Monsieur le Président, voulez-vous les sauver ? Libérez-les, au moins quelques heures, pour ceux qui le souhaitent. Ils repartiront plus endurants pour les semaines à venir qui s'annoncent encore difficiles et SANS CONTACT. Cela fait à présent 10 mois qu'ils sont emprisonnés contre leur gré (prison facturée, ne pas l'oublier...)

Dois-je vous rappeler l'article 1er et 2 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (2) ? Je ne me le permettrais pas, Monsieur le Président.

Monsieur le Ministre de la Santé, si votre maman était en EHPAD, comment le vivriez-vous ? « Mon petit (je ne fais que reprendre vos mots lors d'une émission de radio du 17 novembre) tu ne pourras pas venir me voir le jour de Noël ?? ni toi, ni tes frères, ni tes sœurs ? Et mes petits-enfants ? » En effet, si vous êtes d'une fratrie de trois ou plus, il vous sera impossible de vous y rendre ensemble puisque les visites sont limitées à deux personnes (une seule dans certains établissements) et deux visites maximum par semaine ... Et les mineurs interdits à la visite... De peur que les petits-enfants se précipitent sur leur mamie/papi. ! Et bien sûr pas de partage de la traditionnelle bûche.

Quel ressenti ? ça fait mal à l'estomac, si je peux me permettre de vous le dire. Ça se tord « à l'intérieur ». Sensation physique. Dictature sanitaire.

Et quelles conséquences sur les mois à venir ? Les études psychologiques déjà en cours le montrent, et je serais directe : Vous compterez les morts, Monsieur le Ministre, non pas du Covid mais d'abandon, de tristesse, de détresse psychologique. Vous aurez tué l'envie de vivre.

Voilà à quoi se réduit la fin de vie de nos aînés, de ceux qui nous ont tout appris.

Est-ce digne de notre République Monsieur le Président ?

Une seule journée de 2020 pourrait redevenir une fête, une bouffée d'oxygène pour ceux qui nous ont aimés et que l'on aime.

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, je vous remercie de m'avoir lue.

Veuillez recevoir mes respectueuses salutations.

Christine, fille d'une résidente en EHPAD en AuRA.

 

(1)Dans l'EHPAD où réside ma mère, pas de sorties en extérieur depuis le 18 août, après deux semaines de dérogation du 1er au 15 août, c'est absolument tout depuis le 11 mars ... le mot « temporairement » peut il s'appliquer ?

(2)Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

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