Témoignage de :

Réflexions sur un confinement

15 février 2021

Partager cet article

Share on facebook
Share on linkedin
Share on twitter
Share on email

Pendant les deux confinements je n'ai pas tenu de journal, je ne l'ai jamais fait auparavant non plus. J'ai continué à prendre quelques notes sur mon agenda, mais les pages en sont devenues blanches ou presque ; des noms d'interlocuteurs au téléphone ou de livres commencés. Plus d'activités de yoga, de chant avec la liste des chants travaillés à la MJC, plus de titres de films avec l'indication d'un jardin par où je suis passé pour me rendre à telle salle : le jardin des Plantes pour aller Grand Action du Quartier Latin par exemple. Plus d'exercice physique, d'animaux à croiser, de propos à échanger sur un film avec un autre spectateur au sortir de la salle. Une impression de vide, de sidération reflétée à travers les pages blanches de l'agenda.

En plus une sensation de claustration comme si la sortie autorisée mesurée parcimonieusement en temps et en espace s'apparentait à la promenade dirigée de prisonniers condamnés après à regagner leur cellule. Dans ce confinement rien de positif à mes yeux et l'envie de rien faire si ce n'est crier dans la salle de bains pour exprimer ma rage.

J'ai mis une semaine avant de retourner à la lecture, je m'y suis astreint pour me libérer des informations toxiques données par les journaux télévisés.

Au bout de deux semaines je suis passé voir un ami de l'association culturelle dont je fais partie. En extérieur, évidemment nous avons procédé à un échange de livres. De quoi nous fournir en nourritures hautement essentielles à mes yeux ! Il m'a passé un roman qui traitait du confinement des juifs de la ville polonaise de Lodz pendant la seconde guerre. Vie au ghetto et extermination. Pas une lecture de divertissement mais un refuge dans la fiction et une réflexion sur une situation de guerre où la mort rôde partout. Un travail aussi puisque je devais en faire un compte rendu dans la Lettre de cette association.

En plus face à une situation angoissante, j'éprouve toujours le besoin d'un point d'ancrage à l'extérieur. J'avais déjà réagi ainsi il y a dix ans lorsque je suivais un traitement de chimiothérapie pour un lymphome. Cela me permet d'accéder à une sorte de sérénité.

Le décès de ma mère, très âgée, au vingt-huitième jour du confinement a été surtout difficile parce que je ne pouvais pas me rendre à ses obsèques. Ma sœur étant sur place, dans le village de la Sarthe où elle habite, a pu l'accompagner ses derniers jours. Mais elle a souffert du caractère expéditif de la sépulture à cause des mesures inhumaines imposées sous prétexte de Covid. Certes je sais que ma mère n'est pas morte seule dans son lit, et je l'avais vue fin février. Mais quel traumatisme pour les gens privés de leurs proches !

Ce qui m'a paru le plus difficile dans cette expérience du premier confinement c'est de prendre conscience qu'on me volait ma vie : un printemps en moins, combien m'en reste-t-il ? Mais c'est encore plus insupportable pour les jeunes à qui on vole leur jeunesse, qu'on frustre de rencontres, d'expériences sexuelles ! En plus quelle hypocrisie on me la vole en prétendant me protéger ! Mais que vaut une vie vide et n'est-ce pas à moi de décider quelle part de danger je veux affronter ? Mon goût, depuis le lycée et l'étude du latin, des philosophies antiques, stoïciennes et épicuriennes, me rend très essentielle cette problématique. Et n'y a-t-il pas de la cruauté et du cynisme à dire aux Français : attendez, vous vivrez un peu plus tard, si vous êtes sages jusque-là. Aucun parent ne voudrait et ne pourrait se comporter ainsi, avec ses enfants.

Le deuxième confinement, d'une part on le supporte mieux on a pris ses habitudes, y compris de la frustration. Mais aussi on le supporte moins, on a compris les ficelles du pouvoir, on ne supporte plus que la culture soit considérée comme non essentielle. Peut-être s'achemine-t-on vers le refus, la révolte, enfin !

 

Jacques B.

Défilement vers le haut