Témoignage de :

Restera-t-il un seul juste ?

18 avril 2021

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Le témoignage de VN, universitaire comme moi, aurait pu être le mien.
Cela fait 37 ans que je donne mon cœur, mes forces et mon âme à une institution dont les fondements étaient humanistes, et dont la dérive ultra-compétitive et infiniment bureaucratique est en train de tourner au désastre.

Notre métier, comme celui des soignants, est fondé sur un sacerdoce dont les deux piliers sont l'amour du vrai dans les besoins et la rigueur de la recherche scientifique, et l'amour des autres, dans notre souhait d'éveiller de jeunes esprits et de les amener à la réalisation de leur potentiel intellectuel, humain et professionnel.

Bardés de diplômes, de connaissances et d'expertise, nous aurions pu faire des carrières lucratives ou glorieuses. Nous avons préféré des rémunérations modestes. Cela s'appelle une vocation.

Depuis près de 15 ans, j'assiste à la destruction massive, certaine, et totalitaire des causes et des buts de ma vocation.
Humiliation et harcèlement des enseignants-chercheurs par des bureaucrates incompétents et incultes, déconsidération des étudiants qui ne sont que des nombres pour remplir des formations, des amphis et des salles de TD, inféodation de la recherche à des modèles sans aucune relation avec la rigueur scientifique et toujours liés au profit et aux intérêts, destruction des diplômes, des gens, du temps, des lieux....
La Covid est la cerise sur le gâteau ; le révélateur de l'iniquité d'un système qui, non content de restreindre l'accès à la santé pour les gens en fermant des lits d'hôpitaux depuis des années, restreint tout autant l'accès à la réalisation de soi, au fait de vivre pleinement en accord avec ce que l'on est.

Nous avons subi des injonctions paradoxales permanentes durant toute la période de la Covid.
Nous avons dû assurer du distanciel sans avoir les moyens de le faire.
Nous avons été traqués, mesurés, épiés, regardés sous toutes les coutures.
Nous avons été en première ligne devant des étudiants en colère, essuyant leur agressivité sur nous, alors que nous sommes bafoués dans nos droits et soumis à une infinité de devoirs contradictoires. Alors si VN, qui semble être encore jeune, s'en va, moi, qui suis bientôt à la retraite, je partirai aussi. Sans regret.

Ceux parmi mes collègues qui sont vraiment authentiques (et il y en a de moins en moins : on ne veut plus recruter de vrais universitaires) sont en train, les uns derrière les autres, de partir ou d'abandonner le combat.

Nous laissons le terrain à la pensée unique, aux incultes, aux affairistes. Je n'ose pas imaginer ce que va devenir l'Université française, la seule dans le monde qui portait encore l'esprit des droits de l'Homme.
Une "boîte à bac", un distributeur automatique de diplômes, un tampon entre deux périodes de chômage, une entreprise de "soutien scolaire", un bureau d'études où l'on paie les experts au tiers de leur prix...

Et ce n'est pas qu'en sciences humaines, je suis en sciences dites "dures". C'est tout aussi terrible. Nous avons juste la chance d'être un peu plus "autistes" que nos collègues de sciences humaines, ce qui nous donne l'impression d'être un peu plus protégés, mais ce n'est qu'une illusion.

Nous partons... Restera-t-il un seul juste ?

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