Témoignage de :

Souffrances à l’école

22 février 2021

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Je suis enseignante spécialisée dans le premier degré. J'accueille des élèves allophones à qui j'enseigne le français de scolarisation. Et je souffre tous les jours. Je souffre de les voir bâillonnés, étouffés par ce masque en tissu blanc ou coloré à l'envie, ce masque qui prend des couleurs d'encre, de goûter, de terre, qui se mouille d'eau du robinet, s'humidifie de salive.

J'étouffe de les sentir forcer pour s'exprimer à travers le bâillon, de voir ce tissu se plaquer sur leur bouche ouverte en quête d'air. Je peine à les comprendre quand les disputes éclatent et qu'ils doivent franchir les barrières de l'émotion et du tissu, pour expliquer ce qui leur arrive à un adulte dont ils ne perçoivent qu'un fragment de visage. Je souffre en les voyant s'échiner à capter mes mots assourdis qui traversent les fils de coton perdant de leur précision et de leur sens.

Ce masque est un outil de torture physique et mentale. Pour les élèves, pour les enseignants. Il brise notre humanité, cachant nos traits, nos émotions, mettant entre nous une distance d'incompréhension mutuelle. Les liens se distendent, s'étiolent, nous isolant derrière un bout de tissu machiavélique. La peur et la culpabilité retiennent nos gestes libératoires. Le regard réprobateur de certains fait le reste. Une muselière qui nous emprisonne et nous blesse au quotidien. Alors s'engage un début de résistance. Dans le secret de la classe, le masque tombe, l'air nous emplit le corps et l'esprit. Les sourires renaissent sur les lèvres, les mots s'égrènent clairement. Les regards s'allument de compréhension. Nous sommes libres quelques heures, le temps d'étudier, de partager. Puis, pour éviter les représailles de la hiérarchie, les remarques des collègues ou des familles accrochées à leurs peurs, nous nous rebâillonnons volontairement, le temps de circuler dans l'établissement.

Nous aussi la peur est à l'œuvre. La peur du gendarme et de la pression sociale.

M.S

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