Témoignage de :

Une rentrée sous le signe de la peur.

20 janvier 2022

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Janvier 2022

 

Ceci est le témoignage d'une enseignante en Lettres qui a en charge cette année des classes de sixième et de cinquième. Et qui voit se dérouler devant les yeux des scènes à peine croyables. Attention ! Un élève cas contact est dans ma classe ! Vite : sortons-le !

Voilà quelle a été ma semaine.

A trois reprises, un surveillant est venu en plein cours pour sortir un ou deux élèves : "tu prends tes affaires, et tu sors !" D'abord interloquée, choquée, et pour tout dire, le coeur fendu par le regard d'Océane qui ne comprenait rien, j'ai décidé de dire non.

Le premier motif est d'ordre éthique : dans quelle société vivons-nous pour faire porter un tel poids sur les enfants et adolescents ? Montrés du doigt, sortis en urgence, autrement dit stigmatisés, certains le vivent très mal. Non, ils ne sont pas un danger mortel les uns pour les autres, et c'est pourtant la petite musique de fond qu'ils entendent, de façon subliminale, depuis des mois. Et l'Education Nationale ne les en protège pas. J'ajoute, en professeure responsable, des arguments d'ordre didactique :

qu'en est-il de la continuité pédagogique pourtant tant réclamée par le Ministère ? Comment peut-on à la fois l'exiger, et faire sortit un élève en plein cours ? Cette injonction, que le Rectorat a complétée ce vendredi 7 janvier de l'adverbe "immédiatement", est pour le moins contradictoire.

En outre, qu'en est-il de cette consigne lors de la pause de midi ? Empêche-t-on un élève de terminer son repas ? Evidemment, ce serait le comble de l'absurde.

Ce témoignage n'a aucune valeur exemplaire ; dans d'autres établissements, le protocole est plus intelligemment compris – c'est-à-dire un peu contourné...

D'ailleurs, toutes les mesures ne sont pas applicables, inutile de se voiler la face.

Ainsi donc, moi qui suis attachée à la fraternité, à l'harmonie, à l'apaisement, j'ai fermement décidé de me battre contre une telle situation. J'ai envoyé un courrier à ma cheffe d'établissement pour attirer son attention, puis écrit à mes collègues pour partager mes réflexions. Peut-être semer une graine...

Depuis hier, notre premier ministre est revenu sur cette immédiateté : on peut garder nos élèves jusqu'en fin de journée. Toutefois, ne nous y trompons pas : il s'agit de permettre aux parents concernés de rester au boulot, si c'était pour le bien être des enfants, on le saurait. D'autres mesures -à commencer par des fenêtres qui ouvrent...- auraient pu être prises. Aérer ? Soit, mais je peux vous assurer que j'ai très froid dans ma salle : il faut dire que j'enseigne dans un préfabriqué.

Désinfecter les locaux ? Il manque deux postes et demi d'agent dans mon collège. La principale a passé le balai le lundi de la rentrée (si ! Si !).

Au-delà de ces anecdotes, bien essentielles toutefois, prenons conscience que ce virus nous donne la possiblité de regarder en face le fonctionnement de notre société : comme les hospatiliers, les personnels demandent des moyens. Mais ce que l'on peut observer, c'est une tendance, très fâcheuse, au glissement... vers la désignation de boucs émissaires. Le théâtre grec nous l'enseigne: nous avons cette disposition. C'est sans doute cela qu'il faut combattre avant tout, en chacun de nous.

Et pour un enseignant, il est difficile de constater que ce sont les enfants qui en sont victimes : la peur des adultes ne doit pas faire écho à celle des enfants. Si l'école n'est pas isolée du monde, elle peut fonctionner comme un filtre.

Nous avons le devoir de leur garantir les meilleures conditions possibles d'un épanouissement serein. Leur transmettre le calme,la tolérance, la fraternité.

 

 

 

Ludivine, professeure de Lettres.

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